La belle époque des bains de mer. J’imagine sans peine les dames de la haute société espagnole et européenne se pavanant sur la promenade de bord de mer de San Sebastian. A la fin du XIXème et début du XXème, c’était la belle époque de cette station balnéaire fréquentée par les cours royales et la grande bourgeoisie. En été, la cour espagnole fuyait les chaleurs cuisantes de Madrid pour se réfugier sous des embruns de la côte Basque et de cette plage grandiose de la Concha orientée plein nord. J’ai été éberluée par les restes pompeux qui ont survécu de cette époque : par exemple les lampadaires, la pendule et le baromètre hautains dressés aux entrées de la plage comme à l’entrée d’un escalier d'opéra et une rambarde en fonte qui court sur des kilomètres.
J’ai fouillé l’histoire de la ville pour tenter de comprendre le pourquoi d’une période aussi faste. Elle faisait suite à la fin de la guerre d’Espagne qui avait chassé les armées de Napoléon du pays. En 1813 les anglais et les portugais s’étaient emparés de la ville pour en chasser les français et l’avaient incendiée et pillée. Quelques décennies plus tard la ville fut reconstruite, mais avec ostentation parce que la reine et régente d’Espagne de l’époque, Marie-Christine d’Autriche, venait y passer tous les étés avec sa cour. Elle logeait dans le Palais Miramar, poste d’observation admirable entre les plages de la Concha et de l’Ondarreta. Sa statue est toujours dressée au milieu des jardins du bord de plage.
Entre le grand opéra (devenu depuis Hôtel de ville), le grand hôtel de Londres, les thermes du milieu de la plage et le palais Miramar, des villas orgueilleuses avaient fleuri, toutes plus prétentieuses les unes que les autres, certaines d’inspiration anglaise avec des bow windows, d’autres d’inspiration espagnole voire française. On y croise les rondeurs de l'art nouveau, les angles de l'art déco, et les fantaisies de l'art victorien ou de l'architecture des palais parisiens de l'époque des premières grandes expositions universelles. J’y ai même rencontré, dans les quartiers à l’arrière de la plage les mêmes fenêtres en saillie ("galerija") que dans la capitale de Malte, La Valette. Toutes ces constructions n’ont pas survécu aux prétentions immobilières du modernisme, mais il en reste de superbes échantillons.
Je n’ai pas eu besoin de beaucoup d’imagination pour entrevoir dans ce décor de théâtre les mondanités des élégantes d'il y a un siècles, en crinolines, chapeaux et ombrelles de dentelles, froufroutant avec leurs tailles de guêpe et leurs hanches gonflées de poufs et de tournures en faux-culs. Et tendant leur main aux hommes en haut de forme, plastronnant canne à la main et s’inclinant en baisemains obséquieux. Aujourd’hui, la mode a bien changé. Sur la promenade de San Sebastian, en courant le long du garde-corps de la plage, j'y ai plutôt vu l'étalage des dernières tenues très colorées de running ou de surfing.