Voyage masqué. En Guyane le carnaval dure presque deux mois. J’en ai vécu une petite partie : en participant aux bals torrides de touloulous (ces femmes masquées qui choisissent incognito leurs partenaires de danse) et en assistant à des défilés à n’en plus finir. La fête culmine par les parades du mardi gras. Ce jour-là les plus belles parures et les plus beaux masques sortent de la naphtaline des placards et descendent dans les rues : on voit défiler quelques-unes des plus belles collections de masques au monde, comme au carnaval de Venise. C’est un musée vivant de visages hiératiques se balançant au rythme de percussions frénétiques !
Cette parade de femmes masquées me fait penser aux collections de papillons et d’oiseaux multicolores que j’ai vues juste à côté dans le musée Alexandre Franconie de Cayenne. Toutes ces femmes sont élégantes et portent fièrement leurs visages figés de poupées de porcelaine. Elles prennent des poses dans le froufrou de leurs longues robes aux couleurs vives presqu’outrancières. Sous leurs costumes adaptés aux froidures et aux courants d’air de Venise et sous leurs mains gantées qui ne veulent pas que l’on devine un centimètre carré de leur peau, elles souffrent l’enfer tropical.
Dans cette parade du soir, chamarrée, ces dames, altières comme des coroles de fleurs, ou des ailes de papillons, très fringantes, parfois un peu hautaines, swinguent doucement. Par moments j’ai eu l’impression d’un retour dans le temps quelque part entre le XVIème et le XIXème siècle européen. Il n’y manque que les collerettes de dentelles, les corsets ou les vertugadins. J’ai pourtant deviné sous les déguisements, un zeste de piment du Brésil voisin ou des Caraïbes proches. Car derrière les masques glacés et les robes distinguées et pimpantes, il y a des guyanaises pétulantes qui rongent leur frein.
