Le bout de la route ? Pour beaucoup de gens l’idée de "jugement dernier" reste associée à la notion effrayante de "fin du monde" dont parle la Bible. Pour d’autres, c’est surtout la promesse du passage vers une vie nouvelle. Sous les tuiles vernissées de l’Hôtel Dieu de Beaune j’ai trouvé un chef d’œuvre grandiose de la peinture allégorique flamande du moyen-âge qui illustre ce thème profondément humain, le polyptyque de l’Hôtel Dieu de Beaune. Sa thématique me fait penser aux peintures extérieures des monastères du nord de la Roumanie.
Je découvre avec surprise cet ensemble impressionnant de 15 panneaux qui se détache comme une illumination au fond d’une pièce sombre. Ce sont surtout les 9 panneaux de la partie centrale, autrefois visibles quand le polyptyque était ouvert, et qui irradient d’éclatantes couleurs rouges, bleues ou vertes sur des fonds dorés. Ce retable, autrefois exposé dans la chapelle du fond de la chambre commune de l’hôtel Dieu, n’était déplié que les dimanches et les jours de fête. Les autres jours, quand il était fermé, les malades ne voyaient que 6 panneaux, plus austères et moins lumineux. Aujourd’hui on peut voir les 15 panneaux en même temps, car à la fin du XIXème siècle, les bois des panneaux ont été sciés dans leur épaisseur par les restaurateurs du Louvre pour montrer à la fois l’envers et l’endroit.
Je me suis fait réexpliquer que la Flandre était sous contrôle de la Bourgogne au XVème siècle pour comprendre comment ce bijou de la peinture flamande a pu atterrir un peu au nord de Lyon. Nicolas Rollin, chancelier des ducs de Bourgogne, qui fit construire l’hôtel Dieu de Beaune avait commandé cette grande peinture à un certain Rogier de La Pasture dont la signature apparaît au bas du retable mais qui fit traduire son nom en flamand, en Rogier van der Weyden.
Cet artiste était, paraît-il, proche d’un autre grand peintre flamand Jan van Eyck dont la parenté picturale est évidente. Signe de qualité reconnue, les œuvres de Rogier van der Weyden figurent dans les plus grands musées du monde (Paris, New York, Londres, Saint Pétersbourg, Madrid, Berlin, Vienne,…). Si vous prenez le temps de chercher sur Internet, vous verrez qu’il est de la même époque et de la même veine que deux autres œuvres mondialement reconnues : le « Jugement dernier » de Hans Memling à Gdansk et « L’Agneau mystique » des frères Van Eyck à Gand. Leur art offre assez de puissance pour inspirer certains auteurs de bandes dessinées contemporaines.
Devant l’œuvre immense de Van der Weyden (plus de 5 mètres de large et 2 mètres de haut), je suis resté ½ heure à écouter le guide qui racontait les panneaux de long en large et de haut en bas. Le groupe de personnes qui m’accompagnait était unanime : on aurait pu rester deux fois plus longtemps sans s’ennuyer. En effet, tout est fascinant, le foisonnement des couleurs et des lumières, la maîtrise technique du peintre, le sens et le message de l’œuvre dans le contexte culturel de son époque, l’expression des visages, l’hyperréalisme des vêtements et tissus, des espèces de plantes ou des architectures, l’imagination allégorique d’inspiration apocalyptique de l’auteur, les proportions et les équilibres entre personnages, … Cette oeuvre considérable est un musée à elle seule et mérite le voyage, ou tout au moins une étape de voyage.