La peinture du voyage sans retour. Lors d’un voyage dans le nord de la Roumanie j’ai été très impressionné par l’église du monastère de Moldovita. Habituellement les fresques sont peintes à l’intérieur des églises. Mais pour celle-ci, c’est tout l’extérieur qui est couvert de fresques. Nous sommes dans les montagnes des Carpates, à la frontière de l’Ukraine dans des paysages verdoyants. La région s’appelle la Bucovine (« pays des hêtres »), coincée entre la Moldavie, la Transylvanie et les Maramures. Les rares touristes y vont précisément pour voir les immenses peintures de ces monastères peints protégées des intempéries par un toit très avancé.
Cette église de l’annonciation de Moldovita, classée à l’Unesco est restée telle qu’elle a été construite en 1532 dans le style … Moldave. Les fresques de 8 mètres de haut racontent, comme des bandes dessinées géantes avec des personnages allongés, des scènes de la Bible mêlées à des scènes de l’histoire très compliquée de cette région qui a été un moment ottomane, un moment austro-hongroise. J’ai essayé de regarder et de comprendre les scènes parfois très spectaculaires, comme le jugement dernier, dessinées par des artistes anonymes. Je me suis arrêté entre autres sur cette scène où l’on voit des diablotins emmener des hommes déjà enchaînés par le cou pendant qu’un autre leur tend une coupe qui va les faire tomber dans un océan de feu.
Cette scène naïve et dramatique illustre un passage de la prière du Notre Père apprise par Jésus à ses apôtres. La traduction de ce passage en vigueur actuellement dit « ne nous soumets pas à la tentation ». On voit sur cette image, des hommes piégés par le tentateur et soumis à la volonté des démons qui les conduisent dans un voyage sans retour. Une traduction précédente disait « ne nous laisse pas succomber à la tentation ». Ce qui laissait entendre qu’avant d’être soumis, il suffit de succomber à la tentation pour en devenir esclave. Mais une nouvelle traduction propose de dire « ne nous laisse pas entrer en tentation », ce qui laisserait supposer que bien avant de succomber, il ne faut même pas simplement « entrer » dans la tentation pour ne pas y être soumis. C’est contre ce risque que les peintres de Moldovita voulaient mettre en garde les chrétiens de Bucovine au XVIème siècle, même si cette scène fait sourire les visiteurs du XXIème siècle. Les murs sont couverts de beaucoup d’autres scènes aussi parlantes pour les gens de leur époque.