Cœur colonial. Jakarta est tellement vaste et étendue que son petit cœur historique, appelé Kota Tua, semble insignifiant. Il date du XVIIIème siècle quand la Compagnie hollandaise des Indes Orientales (VOC) tirait profit des richesses en épices du pays. Celles-ci valaient de l’or à cette époque en Europe. Dans ce vestige d'un empire, j'ai ressenti la même impression que dans les anciens comptoirs coloniaux que j’ai visités dans le monde et qui ont gardé mémoire de la Hollande. Que ce soit à Gorée (Sénégal) que les hollandais appelaient "Goede Reede" ou "bonne rade", dans la région du Cap en Afrique du Sud, à l’île Maurice ("Mauritius" est un nom hollandais), à Malacca en Malaisie ou au Suriname (ex Guyane hollandaise) en Amérique du sud.
Mais Java n’avait pas attendu les hollandais pour exister. Les écrits du moyen-âge montrent qu’à l’époque préislamique l’île, partagée entre plusieurs royaumes, était prospère et commerçait avec toutes les puissances d’Asie. Hormis dans le Musée National, il ne reste plus beaucoup de traces de Kalapa ("noix de coco" en soundanais, la langue locale), premier nom connu de la ville et débouché portuaire d’un royaume hindouiste. Au début du XVIème siècle, les portugais y construisirent un fortin. Mais quelques années plus tard seulement un prince local, Fatahillah, reconquiert la place et la renomme Jayakarta ("victoire"). Les hollandais s’en emparent en 1619, la rebaptisent Batavia, un nom importé de chez eux, pour la garder plus de 300 ans, jusqu’en 1945.
C’est Fatahillah qui est revenu et a donné son nom au musée qui occupe aujourd’hui l’ancien Stadhuis (hôtel de ville hollandais) de Jakarta (ancien nom de la ville retrouvé après l’indépendance). Une guide indonésienne fait découvrir ce musée avec passion. Ce majestueux bâtiment date de 1710. C’est sans doute celui que connurent le navigateur français Bougainville quand il fit escale à Batavia en 1769, puis l’anglais James Cook un an plus tard. Mais tous deux y perdirent de nombreux hommes d’équipage à cause des fièvres. J’ai pris en photo le mot hollandais "gouverneurskantoor" ou "bureau du gouverneur" qui domine encore l’entrée du bâtiment.
Le plancher grince toujours dans les hautes pièces volumineuses de cet ancien palais. Hormis un escalier qui se donne des faux airs chinois, le reste c'est à dire le mobilier pompeux et tarabiscoté, les costumes des personnages et les peintures semble plutôt sortir de l’arrière-plan d’une toile de Rembrandt. Par les fenêtres on domine une immense place, la place Fatahillah où jouent des enfants.