Etrange errance. Cees Noteboom lui-même, dans sa préface écrite plus de 30 ans après ce premier roman de 1955, admettait qu’il "éprouvait de la gêne" quand on lui parlait de ce livre, "comme s’il n’était pas réellement le sien". Pourtant, j’ai voulu le découvrir, car cet auteur hollandais est devenu depuis un incontournable écrivain-voyageur, mondialement reconnu, au même titre que Bruce Chatwin, Alvaro Mutis ou Nicolas Bouvier.
"Philippe et les autres" était un livre de jeunesse (il avait tout juste la vingtaine), racontant un voyage en auto-stop à travers la France et sa périphérie. Cees Nooteboom explique lui-même que c’était "un mélange d’innocence impossible, de rêveries, et de béatitude candide". Comme cette recherche obsessionnelle d’une jeune fille Annamite, entr’aperçue de manière fugace sur la route.
Pourtant son livre connaîtra un succès foudroyant et inespéré. Car ce roman, qui avait précédé le mythique "Sur la route" de l’américain Jack Kerouac, contenait un esprit pré soixante-huitard, de libération des carcans de la société, de rejet de l’époque qui a précédé. Libéré de ce qui le retenait, il révèle son besoin de faire craquer les contours sociaux de son enfance, le corset des règles et des croyances qui l’ont formé et de philosopher sur l’impossible. "N’étant plus où j’étais, je pouvais désormais partir librement en voyage".
Son livre est bien une histoire de voyage, ballotté du nord au sud et du sud au nord, une recherche de "paradis perdu", mais quel étrange voyage et quels étranges personnages! L’auteur semble passif devant ses rencontres, fataliste, laissant faire le destin. Il écoute, laisse parler, ne contredit jamais ses interlocuteurs les plus fantasques et il paraît désabusé et blasé malgré son jeune âge. Il voyage au hasard, dans le sud, puis vers Paris, Calais, Bruxelles, Luxembourg,… en auto-stop et en dormant dans des auberges de jeunesse.
Il poursuit des chimères ou est poursuivi par ses chimères. Ce n’est pas un voyage vers la nature, les villes, les monuments ou les paysages mais dans la psychologie des gens qu’il rencontre, un voyage dans leurs folies. "C’est pourquoi nous avons tant de peine à décrire ce monde, car nous devrions nous décrire nous-mêmes puisque le monde revêt nos couleurs", fait-il dire à un de ses personnages.
Mais ces personnages sont parfois un peu des morts-vivants ou des vivants un peu morts, un peu passés, un peu présents, dans des linceuls et des scènes parfois surréalistes, quelquefois même dans des cimetières. "Les morts sont parfois plus avenants que les vivants", dit un de ses ectoplasmes. "Ce que tu vois toi, ce que vous voyez tous est mort", dit un autre. "J’ai passé mon temps à dire adieu et à me souvenir, et à collectionner les adresses dans mes agendas, comme autant de minces pierres tombales" écrit-il... Ce côté noir du roman ne m’a pas beaucoup attiré car ce penchant était effectivement étrange pour un jeune auteur. Cees Nooteboom a écrit de bien meilleurs livres.