Une étape immanquable. En plein cœur de Fort de France cet édifice majestueux est aussi au cœur de l’histoire de la Martinique. Et donc cher à mon cœur. Je l’ai découvert au moment où le crépuscule rosissait. Ce palais de la culture m’a émue pour deux raisons : à cause du nom qu’il porte et à cause du bâtiment qui lui sert d’écrin.
1- L’icône Victor Schœlcher. C’est le nom de celui qui a obtenu l’abolition définitive de l’esclavage en France en 1848. La bibliothèque Schœlcher fait pratiquement face à une statue de Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon Bonaparte, issue d’une famille de planteurs martiniquais. Elle avait été responsable, par son influence, du rétablissement de l’esclavage en 1802 alors que la révolution française l’avait aboli une première fois en 1794.
Tout un symbole ! La statue de Joséphine a été décapitée et maculée de rouge. Au contraire, Victor Schœlcher, entré au Panthéon à Paris en 1949, reste l’objet de toutes les admirations.
Le nom de cet homme politique français est porté par de nombreuses rues de villes ou des établissements scolaires un peu partout en métropole et en outre-mer français, et même par une commune de Martinique. J’ai vu l’une des statues de ce personnage sur une place de Cayenne en Guyane.
Car, en outre-mer, où l’esclavage a été une réalité, chacun sait ce que ce nom de Schœlcher signifie. En métropole beaucoup moins. L’intervention de Victor Schœlcher avait été décisive pour aboutir au décret d’abolition. En 1847, il écrivait : "Il est impossible d'introduire l'humanité dans l'esclavage. Il n'existe qu'un moyen d'améliorer réellement le sort des nègres, c'est de prononcer l'émancipation complète et immédiate". Il fut député de Martinique, en 1849, puis à nouveau en 1871.
2- Le monument vivant. J’ai pris cette photo flamboyante de la bibliothèque au couchant. Impossible de ne pas voir ce grand bâtiment d’architecte, très "Paris fin XIXème siècle", en bordure de la place de la Savane, le cœur battant de Fort de France ! Victor Schœlcher avait voulu cette bibliothèque pour aider à l’instruction des anciens esclaves noirs. Il avait fait don pour cela de son importante collection personnelle de 10 000 livres.
La construction de cet édifice (ouvert en 1893 et classé monument historique100 ans plus tard) avait été confiée au même architecte que celui qui construisit à quelques pas de là la cathédrale Saint Louis de Fort de France, Pierre-Henri Picq. Ce dernier avait épousé une métisse martiniquaise. J’ai visité la cathédrale et la bibliothèque et leur inspiration commune est évidente. Totalement dans le style d’architecture métallique de l’époque, sous influence d’Eiffel : une charpente métallique remplie de briques, comme par exemple en métropole le moulin de la chocolaterie Menier à Noisiel où j’habite. C'est un des nombreux bijoux de la Martinique.
Cette bibliothèque n’est pas devenue musée mais continue de fonctionner. J’ai pu vérifier que beaucoup de jeunes élèves travaillaient dans ce paquebot architectural. Dans les rayonnages autour d’eux figurent quelques livres de Schœlcher qui ont survécu à un incendie, par exemple un exemplaire du roman de Victor Hugo « Quatrevingt-treize », qui raconte la révolution française, dédicacé de son auteur. Et aussi un "Code noir". Le Code Noir ? Colbert, ministre de Louis XIV le définissait ainsi : « régler par une déclaration tout ce qui concerne les nègres dans les isles, tant pour la punition de leurs crimes que pour tout ce qui peut regarder la justice qui leur doit être rendue ». J’en frémis encore !
Au-dessus des élèves qui travaillent dans cette bibliothèque une frise porte le nom de grands écrivains français. Peut-être y verra-t-on un jour le nom d’Aimé Césaire ? A la tribune de l’Assemblée Nationale en décembre 1982, ce dernier, qui fut maire de Fort de France pendant plus de 50 ans, avait cité une phrase de Schoelcher qui m’a marquée : "La violence commise envers le membre le plus infime de l'espèce humaine affecte l'humanité entière."