Les bambous de Bandung. A Bandung, les bambous servent à tout. On en mange dans les restaurants. Ils servent d’échafaudages et d’étais en maçonnerie. Leur usage est infini. Surtout ils servent à fabriquer des instruments de musique exceptionnels et originaux, les angklungs, entrés au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco depuis 2010. L’école Udjo de Bandung créée il y a 50 ans par Udjo Nagalena, les fait revivre. Ces curieux instruments tout en bambous n’émettent chacun qu’une seule note ou qu'un seul accord de musique. Mais quand toutes les notes de musiques sont rassemblées, avec autant d’angklungs que nécessaire, ils forment un immense instrument capable de jouer toutes sortes de musiques du monde, asiatiques comme occidentales. Il n’y a qu'une vidéo (à voir absolument) qui puisse faire comprendre ces musiques tintinnabulantes.
Un angklung semble être un instrument de musique simplissime. Pourtant, j’ai visité l’atelier où on les fabrique et il nécessite un savoir-faire beaucoup plus sophistiqué qu’il n’y paraît. Un angklung est entièrement végétal : une sorte de cadre, en bambou évidemment, ficelé avec du rotin ; on y insère deux à quatre tiges de bambou évidées, taillées et ajustées à l’oreille par l’artisan qui le fabrique. Ces tiges, mobiles dans le cadre, émettent en cognant la même note à des octaves différentes. On tient ou on fixe l’angklung par le haut et on le secoue en bas à droite pour que les bambous en heurtant leur cadre émettent leur note.
Un joueur d’angklung tient 1 ou 2 angklungs dans ses mains, comme les enfants que nous avons vu jouer. Ce qui suppose une coordination parfaite de ces centaines de petits musiciens qui ne doivent agiter leur instrument qu’au bon moment pour produire une mélodie. Les adultes plus expérimentés accrochent sur un support une série d’angklungs représentant toute une octave de notes qu’ils jouent en même temps de leurs deux mains.
L’angklung appartient à la culture soundanaise, une ethnie de l’ouest de Java, dont j'ignorais l'existence avant d'aller là-bas. Cette musique traditionnelle est celle des fêtes et des cérémonies qui rythment la vie des villages : circoncision, fêtes de cultures,… Un seul type de bambou convient pour la fabrication de l’angklung, le bambou noir. Il est récolté "au cours de la saison où chantent les cigales". Ce qui m’a passionné dans cette musique est sa dimension collective. On ne peut pas jouer solo mais on joue collectif.
D’ailleurs le chef d’orchestre a réussi à faire jouer plusieurs mélodies … à plusieurs centaines de spectateurs dont je faisais partie. Chacun d’entre nous a reçu un angklung dont la note était représentée par un nom. A l’appel successif de ces noms on a pu entendre de la salle, comme par magie, des gammes monter et descendre. Puis il a associé chaque nom (et donc chaque note) à un geste de sa main. Avec un peu d’attention devant son langage des signes, la salle s’est mise à jouer des mélodies en quelques minutes. Incroyable, mais vrai !
Mon après-midi-là passé à l’école Udjo (Saung Angklung Udjo Village), a été prodigieux, festif, enchanteur et trop court : spectacles de marionnettes traditionnelles (wayang golek) soutenus par un orchestre de gamelans, chants et danses d’enfants, avec ou sans angklungs, danses d’enfants, puis concerts d’adultes,… Cette école village qui compte 500 élèves de 2 à 18 ans a été fondée il y juste 50 ans. C’est le fils du fondateur, avec sa femme et ses enfants qui l’animent aujourd'hui. L’impression la plus forte qui en ressort est la joie et le bonheur de vivre, comme chez les enfants que j'avais croisés dans les rues de Bandung.
