Au ras des yeux des caïmans. 1 heure 30 de route au départ de Cayenne, par une route en cul de sac qui tournicote vers le fond de la forêt amazonienne et nous voilà plongés dans une nature absolument vierge. Nous nous retrouvons complètement isolés du monde, dans cette réserve naturelle géante que sont les marais de Kaw. Nous sommes un groupe de neuf amis en vacances, unanimes : ces 24 heures sont le meilleur moment de notre mois de vacances de ce côté de l’Atlantique en Guyane.
Pourquoi ? Parce que nous nous sentons privilégiés de pouvoir entrer dans un tel sanctuaire au cœur d’une nature intacte et inviolée. Entre des chants d’oiseaux étonnants, des cris de singes hurleurs, on voit les yeux de caïmans à lunettes qui sortent juste à la surface de l’eau, et un voile de brume qui tend son velum au-dessus du décor. Nous sommes seuls au monde, dans la peau d’explorateurs, entourés d’une forêt à la fois sublime et terrifiante. A distance, des hérons hautains nous narguent et des papillons immenses nous titillent.
Déjà sur la route du marais, nous avions croisé le chemin d’un boa ahurissant. Ici, les frissons de l’aventure se précisent. Nous sommes accueillis dans ce lieu sauvage à bord d’un carbet flottant, un éco-lodge solitaire, une espèce d’arche de Noé qui se mire dans l’eau du lac et se glisse au milieu de la végétation. Dès la tombée de la nuit, nous embarquons sur des petites pirogues au ras d’une eau lisse et silencieuse. Aucune lumière artificielle, sinon la lampe frontale du guide. Sous une voute céleste dont les éclats nous enveloppent, toutes les ombres et les bruits paraissent effrayants.
Soudain, en un éclair, notre guide plonge la main dans l’eau noire et en ressort un petit caïman dont il tient fermement la gueule dans sa main. Bébé caïman peut-être, mais nous éprouvons des appréhensions à le prendre dans nos mains pour une photo souvenir. Il passe pourtant de mains en mains… tremblantes… jusqu’au moment où l’un d’entre nous le lâche. Le voilà qui se tortille en claquant des dents dans tous les sens au fond de la pirogue. Nos cris se mêlent aux gueulements des singes hurleurs. On ne peut pas plonger dans l’eau infestée de caïmans ! Heureusement, le guide nous sauve de cet impossible dilemme !
Nous rentrons au carbet pour nous installer dans un dortoir de hamacs (avec quelques lits pour ceux qui ont peur) ouvert des quatre côtés à la fraîcheur, à la brise de la nuit, aux bruits sauvages et bizarres toujours plus surprenants et au froufrou de grandes chauves-souris. Notre sommeil est donc hanté de songes et d’hallucinations peuplées d’animaux fabuleux et farouches comme les anacondas ou les piranhas invisibles qui nous entourent.
