C’est l’aspect le plus étonnant et le plus étrange de ma visite d’Angkor : la découverte de l’emprise de la jungle qui avale ses monuments. Car après la prise de la ville par les Thaï en 1431 (le roi de France de l’époque était Louis XI, qui s’en souvient ?), le déclin d’Angkor fut rapide, d’autant que l’ingénieux système hydraulique qui alimentait la ville en eau avait été détruit.
Si bien que cette mégalopole du moyen-âge mise à sac et à sec sombra progressivement dans l’oubli. Pendant plusieurs siècles ses monuments laissés à l’abandon furent engloutis par une végétation gargantuesque. On imagine l’étonnement des portugais qui « découvrirent » le temple d’Angkor Vat qui semblait agoniser dans la jungle au XVIème siècle. Puis l’ébahissement du naturaliste et explorateur français Henri Mouhot, qui re-découvrit pour les yeux du monde occidental incrédule et médusé ces ruines gigantesques oubliées. Il écrivait : « C’est plus grand que tout ce que nous ont laissé la Grèce ou Rome ».
L’endroit où le phagocytage des ruines par des arbres géants est le plus visuel et m’a le plus frappé est le temple de Ta Prohm. Des kapoks et des « faux fromagers » (Tetrameles nudiflora) grands comme des piliers de cathédrales enserrent dans leurs pattes éléphantiasiques des murailles entières et les disloquent. Ces arbres cyclopéens sont eux-mêmes parfois étranglés par des Ficus. Bref, la nature s’entrechoque avec l’architecture. Sans intervention de l’homme, devinez qui est le vainqueur ?
Ce combat titanesque et démesuré a d’ailleurs été le lieu de tournage de nombreux films. Par exemple « Tomb Raider » de Simon West ou « Les deux frères » de Jean-Jacques Annaud. Lors de ma visite, plusieurs artistes faisaient d’ailleurs de prises de vues. C’est incontestablement un des lieux les plus photogéniques d’Angkor, même s’il illustre la fragilité et l’écrasement des constructions humaines les plus vaniteuses par la nature.
