L’enfer au Paradis. Paradis dites-vous ? Un habitant de la Guyane m’a dit que, pour lui, les îles du Salut étaient le plus beau site de Guyane : des îlots rocheux et verdoyants bordés de cocotiers réunissant nature, mer, soleil,…. Je suis donc allée y faire un tour (avec un billet de retour en poche quand même !). Si ces îles ne trainaient pas le boulet historique qui leur est accroché on aurait pu construire sur ce petit archipel de 3 îles un prestigieux club de vacances ou en faire des îles exclusives pour la jetset comme certaines très privilégiées des Caraïbes, je pense au caillou de Saint Barth ou à la bande de terre d’Anguilla ! C'est ce que rêvent certains. Evidemment ça n'a rien à voir.
Pourtant le mot "salut" évoque plus facilement le paradis que l’enfer. Il a précisément été choisi au milieu XVIIIème siècle lors d’un épisode terrible, connu comme "l’expédition de Kourou" : Choiseul, ministre de Louis XV, décide alors de coloniser massivement la Guyane pour imposer une présence dans la région face aux Anglais et aux Hollandais. Il y envoie d'un coup 17 000 personnes...qui débarquent dans les marécages en pleine saison des pluies. 12 000 y meurent en un an. Les survivants n’échappent à cette hécatombe qu’en se réfugiant à quelques encâblures, dans ces îlots, ventés et sans moustiques.
C’est oublier qu’avant cette histoire sinistre cet archipel avait été appelé les "îles du diable" à cause des violents courants marins (toujours signalés par des panneaux) qui rendent l’accès à leurs parages dangereux. Les îles du salut, qui n’ont pas toujours porté leur nom actuel, gardent un côté infernal. Déjà pour s’y rendre, il faut prendre un petit bateau à l’embarcadère de Kourou. Souvent la mer est agitée. Le jour où j’y suis allé, le petit catamaran ressemblait à une machine à laver et les passagers à des ectoplasmes livides. L’une des trois îles s’appelle toujours "l’île du diable".
A cause de cette réputation, de l’éloignement de la métropole, de leur isolement, et de leur surnom de "tombeau des français", les "îles du Salut" -mal nommées- avaient été transformées en bagne dès la révolution française. Les révolutionnaires y envoyèrent d’abord des "prêtres réfractaires", ceux qui avaient refusé de prêter serment à la "constitution civile du clergé". Puis Napoléon III organisa les bagnes les plus redoutés du monde dans toute la Guyane. Ils y fonctionneront pendant une centaine d’années. La porte d’entrée de ces bagnes était le port de Saint Laurent du Maroni et les îles du Salut en furent l’endroit le plus isolé.
Quand j’ai mis le pied sur l’île Royale, la principale des trois (à côté de l’île Saint Joseph et de l’île du diable), ce qui m’a frappée, ce sont les importantes constructions On dirait une petite ville coloniale structurée : l’église, des rues et escaliers, des entrepôts, l’hôpital, le phare, les maisons des gardiens (aujourd’hui hébergements pour touristes), le pavillon du directeur, élégant comme une résidence secondaire en Normandie ou en Bretagne,… Mais un détail montre que la vie était dure pour tout le monde sous ces tropiques, c’est le cimetière des enfants… ceux des gardiens chez qui le taux de mortalité était exceptionnellement élevé.
Les traces du bagne, aujourd’hui peuplé de singes et d’agoutis et enserré dans la végétation, sont en ruines. Mais ces ruines restent aussi un témoignage cruel de l’indignité à laquelle on soumettait les prisonniers. Une sorte de Guantanamo déshumanisant avant l’heure, avec en plus la guillotine qui fonctionnait périodiquement devant les autres détenus. En face de l’île Royale on aperçoit l’île du diable encore plus isolée, réservée aux politiques et où séjourna Dreyfus ! Il n'était pas le seul innocent à avoir fréquenté ces geôles. Ces îles sont émouvantes. Elles sont aujourd’hui propriété du Centre National d’études spatiales (Cnes) parce que les îles sont sur la trajectoire des fusées lancées de Kourou ! Le Cnes a encore beaucoup de travail à faire pour redonner leur totale dignité à ces pages d’histoire de France, aussi un peu pages de l'histoire de l'humanité.