Depuis plus de 30 ans au Laos, il pilote de grands bateaux de passagers sur le fleuve Mékong, un fleuve mythique très difficile à naviguer, parfois capricieux. Mais à plus de 55 ans, en dépit de ses allers-retours incessants, il n’a navigué sur le Mékong que dans sa partie laotienne. Il n’est même jamais descendu en aval jusqu’à la mer qu’il n’a jamais vue. Voir la mer, c’est le rêve de ce voyageur éternel.
Est-ce votre famille qui vous a appris à piloter des bateaux ?
Je suis né dans le village de Thin Hong près de Luang Prabang sur le bord du Mékong, mais mon père est mort quand j’étais tout petit et ma mère était très pauvre. J’ai donc du commencer à travailler très jeune comme porteur. Ensuite, comme je vivais au bord du fleuve, c’est moi qui ai souhaité aider les piroguiers. A force de monter sur les pirogues, j’ai progressivement commencé à aider des pilotes puis j’ai appris leur métier.
Depuis quand pilotez-vous seul des bateaux sur le fleuve ?
Je sais le faire depuis 1982, aussi bien pour des transports de marchandises que de passagers. Au début, je pilotais de petites embarcations de 5 tonnes maximum. Aujourd’hui je suis à la barre de ce grand bateau traditionnel de 50 tonnes appartenant à la compagnie Luang Say. C’est le Paku IV de 39 mètres de long et 1,20 m de tirant d’eau qui peut emporter 40 passagers. Il est équipé d’un moteur de 320 chevaux et a été construit tout en bois de teck et bois de rose à Vientiane il y a 5 ans. Les plus gros bateaux sur le Mékong font 43 mètres de long. Je serais tout à fait capable d’en conduire.
Combien de temps passez-vous sur ce bateau ?
Je vis 240 jours par an sur ce même bateau. D’octobre à avril, je fais 6 allers-retours par mois entre Luang Prabang et Houei Sai à la frontière de la Thaïlande et de mai à septembre, seulement 4 aller-retours par mois.
Comment est composé l’équipage, qui en est responsable ?
Il comprend 5 personnes : 2 pilotes, 1 mécanicien et 2 cuisiniers. S’y ajoutent 2 guides pour accompagner les touristes. Ici, le pilote n’est pas le commandant, nous faisons un travail d’équipe.
Les courants semblent forts et tourbillonnants dans le fleuve, entre des rochers qui émergent partout, quelles sont les difficultés de pilotage ?
La principale difficulté est la période de la saison sèche. Quand le niveau de l’eau est très bas, il faut vraiment une très grande vigilance pour ne pas s’accrocher.
Comment savoir où se cachent les écueils sous l’eau quand elle remonte ? Disposez-vous de cartes ?
C’est uniquement par la mémoire que nous les enregistrons les dangers, à force de passer aux mêmes endroits. Quand nous parcourons le fleuve en période d’étiage en avril mai, il faut absolument voir et mémoriser tous les dangers pour pouvoir les éviter en période de hautes eaux et de crues. Pour former un pilote, il faut trois ans, le temps de parfaitement tout mémoriser le long du trajet.
Est-ce que vous savez lire la surface de l’eau et ses mouvements ?
Oui, je peux comprendre la signification des tourbillons, certains signifient qu’il y a des rochers, d’autres du sable. Mais le plus important est toujours la mémoire de chaque lieu.
Avez-vous vu des accidents de bateaux sur le Mékong ?
Oui j’en ai vu. Ils se produisent souvent avec les plus grands bateaux de marchandises, ceux qui ont des maisons dessus et qui se chargent parfois de beaucoup trop de marchandises. De ce fait, ils s’enfoncent avec un tirant d’eau bien trop bas. Le danger vient quand ils se croisent et que le courant est fort, c’est alors qu’en cherchant à s’éviter ils peuvent accrocher des rochers.
Avez-vous navigué plus loin que le seul tronçon Luang Prabang /Houei Sai en amont ou en aval ?
Le Mékong est un fleuve immense qui parcourt près de 5000 kms de la Chine jusqu’au Viêt-Nam dont plus de 1800 kms au Laos. Je n’en connais qu’une partie. Je suis allé un peu vers le nord jusqu’à la frontière de la Birmanie dans le triangle d’or et plus au sud jusqu’à Vientiane, la capitale du Laos. Dans les deux cas, j’ai trouvé que le fleuve était beaucoup plus difficile à naviguer. Dans le nord, il est périlleux surtout pendant la saison sèche et dans le sud parce qu’il a beaucoup de rapides, de courants et de rochers.
Avec tous ces allers-retours estimez-vous être un grand voyageur ?
Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que je parcours le fleuve pour mon travail et que ma seule pensée est d’arriver à destination en toute sécurité pour tous mes passagers
Avez-vous fait d’autres voyages que ces trajets sur le Mékong ?
En dehors de mes déplacements en bateau, je ne voyage jamais, ou plutôt les seuls déplacements que j’ai faits c’est pour aller à Chiang Rai de l’autre côté de la frontière en Thaïlande pendant 2 ou 3 jours. Si j’ai de la chance, je pourrai voir d’autres fleuves et d’autres pays, mais c’est difficile. J’aimerais découvrir le Viet Nam et la Thaïlande et aller jusqu’à la mer que je n’ai jamais vue.
Aimez-vous votre métier ?
Oui j’aime beaucoup être pilote. Pour quelqu’un qui n’a reçu aucune éducation scolaire, je gagne bien ma vie et avec l’expérience, ce n’est plus un métier trop difficile. Le fleuve est toute ma vie. J’y pense même en dehors du travail, j’en rêve même.
Comment vous voit votre famille ?
Je travaille depuis que je suis très jeune et tout le monde est habitué à me voir partir. Je suis marié et j’ai eu trois enfants de deux mariages successifs. Mon fils le plus âgé est déjà pilote et il conduit un petit bateau de commerce.