Comment en êtes-vous arrivé au tourisme durable et responsable ? Avant d’y arriver par une approche professionnelle, je suis d’abord venu au tourisme durable par une approche personnelle, aussi bien par mon éducation familiale que par l’institution scolaire qui m’a permis de faire très tôt des voyages de découverte de l’environnement naturel et culturel du littoral normand puis, plus tard, d’aller à la rencontre de jeunes allemands. Pour mes parents, qui étaient médecins, les vacances dès que possible, c’était forcément partir et s’évader. On devait être curieux et se libérer des contraintes du quotidien. Ils nous embarquaient dans toutes sortes de voyages, pas très organisés, sans trop de programme, un peu à l’aventure. Ainsi, nous marchions beaucoup en Normandie, on est partis en camping-car en Norvège, en voiture de location aux Etats-Unis, avec une agence locale au Pérou, etc. C’étaient toujours des expériences marquantes en raison de la diversité culturelle du monde qui oblige à avoir une attitude humble. On s’enrichissait de ces voyages en apprenant des autres, quelle que soit la destination, France, Italie, Maroc, etc...
Est-ce que vous avez voyagé différemment à partir de votre majorité ?
A partir de mes 18 ans, mes choix de destinations étaient différents et ont été une occasion d’apprendre sur la diversité des manières de voyager. Qu’il s’agisse de séjours d’agrément ou de déplacements professionnels, en liberté ou en groupe, j’en ai toujours profité pour étudier et réfléchir sur le sens des voyages. J’ai découvert le Sahara grâce à Maurice Freund, qui avait fondé le Point Afrique et qui affrétait des avions vers la Mauritanie. J’ai beaucoup voyagé au Maroc qui est le pays que j’ai le plus visité. J’ai aussi voyagé en Jordanie avec Nomade Aventure. Les déserts m’ont toujours beaucoup marqué à cause de leur sobriété, leur calme et leurs espaces infinis. Ils sont un retour à l’essentiel, un temps de réflexion pour se demander "qui suis-je, où vais-je ?".
J’aime en particulier la marche à pied qui est un moyen privilégié de penser et le meilleur moyen de rencontrer des gens. Quand on arrive à pied dans un village, par exemple, l’accueil est toujours différent que pour les visiteurs qui arrivent en car, le dialogue est plus facile.
J’ai aussi commencé à voyager seul. Par exemple, je suis parti au Mali en 2008 à l’occasion d’un Forum international du tourisme solidaire. Ce qui m’a le plus marqué dans ce voyage, ce sont les dialogues à bâtons rompus sous les étoiles avec les maliens. On dit "la main de celui qui donne est toujours au-dessus de celui qui reçoit", et le touriste, même "solidaire", reste souvent un client. Mais je pense que le voyage peut effacer des barrières culturelles et hiérarchisantes lorsque l’on prend le temps de la rencontre par petits groupes. En restant humble et à l’écoute, l’hôte peut se dévoiler.
Je pense néanmoins que la petite taille des groupes n’est pas une condition du tourisme responsable. Si les flux de voyageurs sont déconcentrés, répartis sur un grand espace, et dans le temps tout au long d’une journée ou d’une année, le tourisme de masse n’est pas forcément mauvais. C’est le concept de la dispersion, qui est une solution possible pour mieux répartir les flux de touristes et partager les effets tant positifs que négatifs qui vont avec. Et ainsi garantir aux touristes une meilleure visite d’un territoire qui mérite d’être aménagé en conséquence.
Votre formation et vos premières expériences professionnelles vous ont elles préparées à aborder le tourisme autrement ?
Je suis en effet tombé très tôt dans la marmite du tourisme durable à travers un stage au Conseil National du Tourisme à qui j’ai remis en 2001 un rapport sur l’éthique dans le tourisme en général et dans les voyages en particulier. Etudiant à Sciences Po Lille, j’ai poursuivi mes recherches pour identifier et valoriser les acteurs qui agissaient concrètement sur le terrain en faveur du développement durable du tourisme, parmi lesquels Atalante, à l’initiative de la Charte éthique du voyageur et qui allait participer à la création de l’association Agir pour un Tourisme Responsable. J’ai ensuite découvert, dans le cadre de mon premier job que beaucoup de professionnels faisaient du tourisme durable sans le savoir. Ainsi lorsque je travaillais pour l’association Normandie Mémoire en charge de l’organisation du 60ème anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie, notre objectif était d’associer la population locale aux événements mais aussi de répartir aux mieux leurs impacts dans le temps et dans l’espace, à savoir pas uniquement sur les plages début juin mais dans l’ensemble du territoire et tout au long de l’été 2004. Mon engagement militant aux côtés de Dora Valayer au sein de l’association Transverses puis du réseau Archimède, m’ont aussi permis de rencontrer beaucoup d’acteurs engagés dans la solidarité et l’écologie dont le tourisme est un formidable vecteur. Le Master en médiation et ingénierie touristique et culturelle des territoires, obtenu en formation continue à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle en 2006, m’a aussi permis d’enrichir mes connaissances du monde du tourisme et de la manière de le faire évoluer.
J'ai remarqué que vous appréciiez la cuisine pendant vos voyages ?
J’ai observé que faire de la cuisine ensemble était un bon moyen de rencontrer l’autre pendant des voyages. J’ai pu en faire par exemple l’expérience au Maroc en pleine récolte du safran, où nous apprenions à utiliser cette épice merveilleuse dans des mets tous plus exquis les uns que les autres.
Je m’intéresse beaucoup à l’agriculture et je cultive mon potager depuis dix ans. Depuis peu, j’élève même quelques volailles. Je mange bio et m’interdis par exemple de consommer des tomates en hiver, tellement moins bonnes que celles que je déguste en été. Je me suis impliqué dans le réseau des Amap (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) et du "slow food". Ce qui m’intéresse c’est de comprendre les filières, les saisons, depuis le terroir jusqu’à l’assiette. Pour moi goûter et découvrir de nouvelles saveurs est un véritable motif de voyages. Je suis obsédé par l’éveil des sens. D’ailleurs j’observe que les voyages sont de plus en plus gustatifs. Je me souviens très bien des parfums de la vanille et du café en Guadeloupe, de la crême de pistache et de la marmelade de mandarine en Sicile, de la bière de blé et des tartes aux pommes à la cannelle en Autriche, etc.
Quels sont vos plus beaux souvenirs de voyages ?
Petra en Jordanie m’a plongé dans le film "Indiana Jones et la Dernière Croisade". En découvrant cet endroit, et grâce aux talents des guides locaux on approche du site sans s’y attendre. Quand il se dévoile, c’est bluffant. Au cours du même voyage en Jordanie, j’ai fait une randonnée dans le désert du Wadi Rum et là, je me suis cru dans un film de Star Wars. C’est d’ailleurs dans ce paysage magique que j’ai demandé ma femme en mariage, un jour de Saint-Valentin !
Un autre beau souvenir est un séjour que j’ai fait dans le gîte d’un petit village malien entre Ségou et Bamako. Je terminais un séjour professionnel à Bamako que j’avais voulu prolonger. Je ne m’attendais pas à partager autant de choses avec l’homme qui m’a accueilli. Dans un lieu calme et paisible, nous avons eu un partage sur l’humanité, d’une profondeur rarement atteinte, même avec ma famille ou mes amis. J’avais l’impression d’être à ma juste place. En sacrifiant une dinde devant moi pour me l’offrir en dîner, je me suis senti très honoré et particulièrement proche de l’homme et de la nature qui m’accueillaient. C’est la preuve qu’on peut avoir de vrais moments de partage n’importe où dans le monde. Si on est perçu en tant que voyageur humble, on peut se sentir à sa place partout. Mais quand on ne se sent pas à sa place, qu’on sanglote - à l’image de l’homme blanc de l’écrivain Pascal Bruckner qui ne se remet pas d’être l’héritier d’un empire colonial, cela peut devenir malsain. Personnellement, je ne me sens ni redevable ni coupable de l’histoire française. Je m’y intéresse, je peux en témoigner mais je vis avec mon temps et tente de le partager avec celui de mes contemporains. Et le voyage tend plus à me rapprocher des autres qu’à m’en éloigner fort heureusement.