Le fin fond de l’Amazonie. J’ai longtemps cru que pour entrer en Amazonie, la seule voie était de s’enfoncer par l’ouest du Brésil. J’ai découvert lors de plusieurs voyages que cette forêt immense commence à s’étendre depuis le pied de la Cordillère des Andes et qu’on peut y pénétrer par l’est de la Colombie, du Pérou ou de l’Equateur. Sur une carte de l’Amérique du Sud, l’Amazonie équatorienne paraît minuscule. Quand j’y suis entré par ce pays, j’ai pourtant eu l’impression de parcourir de très longues distances.
Un avion hors d’âge me dépose à l’aéroport de Largo Agrio proche de la frontière colombienne. Puis il faut deux heures secoué dans un bus de collection d’une autre époque, cahotant et sautant sur des pistes boueuses pour atteindre un embarquement à El Puente sur le Rio Cuyabeno, une rivière qui se jette au Pérou dans le Rio Napo, lequel compte lui-même parmi le millier d’affluents du fleuve Amazone. En deux heures de pirogue motorisée, chargée de quelques indiens et touristes nous nous enfonçons dans une chaleur de plus en plus moite au cœur de parc national de Cuyabeno, en nous éloignant progressivement de toutes traces de civilisation visible dans cette région que les équatoriens appellent leur "Oriente".
Lorsque la pirogue s’amarre à un ponton de bois, je découvre le lodge annoncé, vraiment tapi, enfoui presque fondu sous l’épaisse végétation : c’est le Tapir Lodge, du nom de ce curieux mammifère trapu et à la carapace blindée qui se nourrit avec une petite trompe. Le lodge a été créé en 1999 par un germano-colombien, Kurt Beate, un personnage hors du commun, en complète osmose, comme son lodge, avec la nature, les plantes, les animaux, les oiseaux, les insectes et les habitants indiens de la région. Il s’est appuyé sur les communautés locales Siona pour construire cet hébergement très écotouristique, absolument eco-friendly. Le confort y paraît un peu fruste ? Il me ravit comme les autres visiteurs enchantés par le bain de nature et l’authenticité de la démarche développement durable : la proximité avec les indiens, l’électricité produite par des panneaux solaires, l’assainissement biologique avec une récupération du gaz méthane,… Je trouve que c’est un luxe inouï de trouver ici un éclairage électrique, de l’eau purifiée pour boire, une salle de bain avec eau chaude, des repas avec du vin !
Une des particularités de ce lodge forestier qui peut recevoir 36 personnes à la fois est d’être structuré entre deux « tours » de 4 niveaux et 15 mètres de haut et un bungalow plus classique. Le balcon de la tour où j’ai logé est un incroyable poste d’observation de la nature : des orchidées accrochées aux branches, des oiseaux colorés, une espèce endémique de singes,…
Surtout, avec la passion communicative de Kurt, le Tapir Lodge est le point de départ de fabuleuses excursions sur les rivières et les lacs (appelés lagons) du parc naturel pour découvrir les écosystèmes jusqu’à un village indien. La réserve de Cuyabeno est un des lieux où la biodiversité est la plus dense au monde : 12 000 espèces de plantes dont 60 d’orchidées, plus de 500 espèces d’oiseaux et 300 de poissons, des reptiles (des caïmans dont on voit seulement les deux yeux au-dessus de l’eau, des anacondas,…) et des mammifères (tapirs, tatous, dauphins roses batifolant dans les eaux noires, singes paresseux accrochés dans les branches au-dessus de nos têtes…). Il faut du temps à nos yeux et à nos oreilles pour s’habituer, mais petit à petit, en restant silencieux et avec l’aide de Kurt, un monde de vie intense se révèle.