Le voyageur qui continue son chemin. Cette statue monumentale de Bruno Catalano que j’ai photographiée il y a quelques semaines à Beaune en Bourgogne m’avait troublé et impressionné. Comme si elle avait, hélas, un côté prémonitoire. En tant que grand voyageur et cible facile je me sens concerné et affecté par la violence ahurissante de quelques robots fêlés qui veulent entrainer le monde dans leur propre anéantissement. En ce sens, les collections d’étranges « voyageurs » désintégrés de ce grand sculpteur contemporain me parlent et rejoignent aujourd’hui ma peine de français.
Cet immense bronze de 4 mètres de haut représentant un corps soufflé, déchiqueté, disjoint, me fait penser à une autre grande statue désagrégée de Zadkine que j’avais vu dans port de Rotterdam et qui évoque les destructions nazies de la dernière guerre mondiale. Aujourd’hui, je retrouve dans ce voyageur de Catalano quelque chose de la souffrance exprimée par Zadkine. Car ces corps déstructurés et évidés sont le contraire des statues bien en chair et pleines, visibles de toutes les villes du monde comme par exemple à Oslo ou à Copenhague
Pourtant, en première lecture, avant les événements du week-end dernier, j’avais plutôt vu « le voyageur » de Catalano comme un puzzle en cours de construction ou de reconstruction. Comme si l’artiste avait voulu, à travers ses statues trouées et fractionnées, sonder la vacuité de nos êtres, toujours en mouvement, en voyage, en quête d’eux-mêmes, de quelque chose, en recherche de bonheur, d’inconnu, d’identité. Catalano laisse chaque passant, voyageur de passage, imaginer le creux à remplir comme il le veut, poser la dernière pièce du puzzle, voire se fondre, comme le font certains photographes, dans la partie manquante.
J’ai aussi l’impression que le vécu et les images de ce « voyageur » sont contenus dans sa toute petite valise. Et pour moi, cette statue rejoint d’autres images, celles de cohortes de migrants, qui ont précédé celles des attentats de Paris. Bruno Catalano est un français d’origine italienne né au Maroc et devenu marseillais. Ses œuvres illustrent les générations d’exilés qui ont débarqué sur les quais du port de Marseille avec pour seul bien leur seule petite valise à la main et qui ont réussi à se reconstruire dans notre pays en construisant notre pays.
Ce qui me frappe dans le voyageur de Catalano, c'est que, même fragile et fragmenté, il reste toujours en mouvement, que son pas demeure assuré, aérien, qu’il tient toujours ferme sa petite valise à la main, qu’il soit voyageur volontaire ou contraint. Comme la statue de Mandela sortant de 27 ans de prison, le poing levé. En ce sens ce personnage surréaliste mais très universel pourrait devenir un mémorial des attentats, posé au cœur de Paris, comme une volonté collective de rester en marche, malgré tout. Je le suggère en tout cas à Anne Hidalgo.