Mutation historique. Le "café grec" n’est plus ce qu’il était. Même lui a été touché par la crise. Lors de mes premiers voyages en Grèce, prendre un café était tout un cérémonial auquel j’assistais avec ravissement : sa lente cuisson jusqu’à l’apparition d’écume dans la petite casserole à col serré et longue queue, l’attente pour que le marc se dépose au fond de la tasse, sa dégustation prudente pour ne pas aspirer de marc granuleux, l’accompagnement de pâtisseries généreuses, puis à la fin, le retournement de la tasse dans la soucoupe pour lire les lignes dessinées sur les parois par l’écoulement des restes du marc.
J’ai bu à peu près ce même type café, plus ou moins sucré, à Chypre, au Liban, en Syrie, en Israël, en Egypte, en Croatie, en Bulgarie, en Roumanie, en Tunisie, en Algérie (pas au Maroc où on est plutôt thé)… et bien évidemment en Turquie où ce café "à la turque" était apparu et d’où il s’était répandu autour de la Méditerranée avec les conquêtes de l’empire ottoman. Chacun des pays libéré de cet empire avait gardé ce café, en le rebaptisant et en le nationalisant. Le café turc était ainsi devenu "café grec" en Grèce, "café chypriote" à Chypre ou "café bosnien" en Bosnie-Herzégovine.
J’ai été très surpris lors de mon dernier voyage en Grèce, à Thessalonique précisément, quand on m’a dit que le café grec n’était plus consommé que par les personnes âgées ! De fait dans tous les cafés que j’ai fréquentés il n’apparaissait plus sur la carte, que ce soit dans les cafés des quartiers bobos de Thessalonique, dans les bistrots de bord de route et même dans les troquets des villages. La Grèce s’est libérée de ce dernier reste d’influence turque … pour tomber dans les bras d’influences occidentales.
En effet on voit surtout les grecs emporter leur café dans des gobelets en plastique fermés d’un couvercle percé pour le boire… à la manière américaine qui est en train de conquérir l’Europe entière ! Bien sûr on peut demander du café en tasse, mais à la manière italienne : les grecs consomment de l’expresso chaud ou de l’expresso "fretto". En réalité aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont fan de "café frappé" (café soluble et glaçons) ou de "capuccino fretto". Heureusement demander un café en Grèce reste moins compliqué qu’en Espagne.
Cette mutation historique s’est accompagnée d’une explosion des petits cafés ouverts par des chômeurs victimes de la grande crise économique qui tentent de survivre de cette façon. Or, comme le café, qu’il soit expresso ou frappé, est un des produits les moins chers à consommer, les jeunes grecs viennent entre amis, se commander un seul café et restent des heures à refaire le monde. Ainsi les cafés ont souvent l’air plein de monde… mais ne doivent pas réaliser de chiffre d’affaires faramineux. Le café new wave à la grecque a ainsi retrouvé la convivialité de son ancêtre le café grec.