L’élégance au schéol. Quelle demeure bourgeoise ! J’avais l’impression de découvrir une belle résidence secondaire de la côte Atlantique ou un pavillon de station balnéaire de Bretagne par exemple. De fait, cette construction en pierre d’un étage m’a parue solide et agrémentée d’un joli escalier et d’une colonnade supportant un balcon en fer forgé.
Elle semble d’autant plus attrayante qu’elle est accrochée sur des hauteurs en escaliers au-dessus des rochers, ce qui lui garantit une vue panoramique imprenable sur la mer en contrebas. De surcroit, sa situation en pays tropical, entourée de sveltes cocotiers et de pelouses verdoyantes, ne gâche rien au plaisir du paysage. « Les îles du salut sont un des plus beaux sites de la Guyane sur lequel aurait pu être construit un club de vacances», m’a assuré un ami habitant à Cayenne.
Car nous sommes au large de la Guyane dans l’Atlantique. Et cette coquetterie architecturale était en fait la maison du directeur …. du bagne des îles du salut, construite par des bagnards en 1854. Ces trois îles du salut que je découvrais après 1 heure de bateau auraient pu garder leur premier nom, les « îles du diable ». Or leur nom actuel leur a été donné par les survivants d’une terrible hécatombe (12 000 colons français avaient été décimés par la fièvre jaune en Guyane au XVIIIème siècle). Ils avaient trouvé refuge dans ce lieu à première vue paradisiaque et surtout venté, donc sans moustiques.
Mais cet épisode de salut fut de courte durée pour ces îles puisque la révolution française y déporta les prêtres réfractaires. Surtout, en 1852, Napoléon III y créa un bagne terrible qui a fonctionné jusqu’en 1953. Depuis cette date, c’est cette maison du directeur du pénitencier, située sur l’île Royale (qui portait si mal son nom), la plus importante des trois îles, qui a été transformée en musée du bagne où j’ai appris cette histoire diabolique.
Cette maison chargée d’histoire raconte les conditions de vie effroyables et dégradantes et les corvées auxquelles ont été astreints 70 000 prisonniers qui ont été déportés dans ces « îles du salut ». Là, en fait, il n’y avait pas de salut pour les condamnés à la guillotine, exécutés sur place, ni beaucoup d’espoir pour les autres. Le Conservatoire du littoral cite une journaliste (Gault Mac Gowan) qui aurait rapporté avoir vu en 1932 un « crime enchâssé au paradis ». Depuis la vue splendide que lui offrait son pavillon, le directeur de la prison pouvait imaginer être en villégiature. Sauf qu’il entendait sans doute les cris montant de l’univers carcéral qui l’entourait.