Ici au Barachois, sur cette promenade en bas de la ville de Saint-Denis, je me suis assis sur le petit muret face à la houle de l’océan Indien. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer des scènes de l’histoire de cette île de la Réunion. Aucun être humain ne l’avait habitée avant le XVIIème siècle. Sans doute que les navigateurs arabes la connaissaient depuis des siècles et les portugais depuis 1500. Elle était restée inhabitée mais était devenue une étape pratique d’approvisionnement en eau et en nourriture sur la route des Indes pour les navires hollandais, anglais et français.
En ouvrant le guide que j’ai emporté pour ce voyage, je lis qu’en 1642, ce sont les français qui ont pris possession de cette île au nom de leur roi, puis qui y ont débarqué les premiers habitants en 1663 sur ce territoire vierge. Ils l’ont alors baptisé l’île Bourbon.
J’aurais bien voulu être avec eux pour connaître quelques-uns de ces gros oiseaux patauds et incapables de voler, qu’étaient les dodos et qui survivaient encore à cette époque. Mais cette espèce endémique s’est éteinte quelques années plus tard, en raison de leur chasse par les hommes et des prédateurs qu’ils avaient introduits, comme les chiens et les macaques. On ne voit plus de traces des dodos que sur les publicités de la bière locale qui clame en créole sur tous les murs : «la dodo léla ». Saint Denis n’était encore il y a 350 ans que forêts, falaises et rochers puisque les bateaux faisaient escale à Saint Paul à l’ouest.
Là où je suis assis à Saint Denis, tout au nord, ce site mieux abrité que Saint Paul, ne commença à être habité qu’à partir de 1669. On cultivait, près de la côte, le café, puis la canne à sucre. L’environnement y est forcément resté rural très longtemps. Et les esclaves noirs, puis la main d’œuvre indienne arrivèrent, déportés pour cultiver ces plantations. Ce n’est que 150 ans plus tard, au début du XIXème que la jetée et la promenade du Barachois où je suis assis fut construites. Le mot « barachois » désigne une sorte de lagon qui était là, avant qu’il ne s’ensable.
La batterie de canons qui borde le muret et qui est tournée vers le large rappelle que l’île resta pendant des siècles l’objet des rivalités guerrières entre les empires français et anglais. L’île Bourbon, rebaptisée La Réunion par les révolutionnaires français, passa même sous contrôle britannique pendant quelques années à l’époque de Napoléon.
Juste derrière mon dos, il y deux statues qui rappellent deux autres époques. Celle de François de Mahé de la Bourdonnais qui fut gouverneur général des Mascareignes (l’ensemble formé par l’île Bourbon, l’île de France qui est l’actuelle île Maurice et les Rodrigues) et qui fit aménager le port de Saint-Denis. La seconde statue est celle de Roland Garros l’aviateur célèbre d’origine réunionnaise tombé au combat en métropole pendant la première guerre mondiale.
Jusqu’en 1948, il y avait à l’endroit où je suis assis une sorte de wharf de 75 mètres de long où accostaient les chaloupes conduisant aux navires mouillant dans la rade un peu plus loin. Mais ce « pont » a été détruit par un cyclone. Aujourd’hui ce lieu paisible un peu désert, en bordure de la ville de Saint-Denis, est une promenade pour les amoureux et pour moi une sorte de livre d’histoire de l’hémisphère sud.