L’exotisme à Paris au XVIIIème siècle. Aujourd’hui quand on pense exotisme beaucoup de gens ont en tête une carte postale de plage sous les cocotiers sur une île lointaine. Au XVIIIème siècle en France, l’exotisme c’était de découvrir des boissons nouvellement arrivées, le thé, le café et le chocolat. Au Musée Cognac Jay à Paris, en plein quartier bobo du Marais, une exposition est consacrée à cette folie des salons aristocratiques et bourgeois de cette époque. Ce musée parisien pas assez connu, installé dans l’hôtel Donon, un hôtel particulier du XVIème siècle, porte le nom des fondateurs des magasins de La Samaritaine.
Le bouillonnement de la bonne société pour ces breuvages exotiques avait pris sa source au XVIème siècle : il découlait des grandes découvertes, de l’ouverture de nouvelles routes commerciales maritimes, puis du développement des Compagnies des Indes, de l'implantation des comptoirs commerciaux et de la multiplication de plantations lointaines. Ces bouleversements avaient entraîné une curiosité mondaine pour ces boissons excitantes et épicées venues de l’autre bout du monde. La caféine et la théine s’emparèrent d’abord des cours royales au XVIIème comme une fascination pour des curiosités de l’ailleurs.
Puis la fringale gagna les salons des hôtels particuliers, des châteaux et de la grande bourgeoisie. L’exposition montre combien leur consommation était de « suprême bon ton ». Même si des débats passionnels les entouraient comme les embrasements de la marquise de Sévigné qui tantôt les adorait, tantôt les vouait aux gémonies. Mais les élites aristocratiques, puis les philosophes des lumières, puis les révolutionnaires furent tour à tour conquis. On ouvrit des cafés, puis des restaurants et les corporations des limonadiers et des épiciers se disputaient le droit de distribuer ces produits de luxe. Aujourd'hui thé, café et chocolat sont familiers à toutes les couches de la société, dans beaucoup de pays du monde.
Dans un trop petit espace (3 minuscules salles) cette exposition est dense comme un café serré. Dans des dessins, eaux fortes, estampes et huiles, on y voit tout un froufroutement de dames chichiteuses en robes de taffetas, coiffées de perruques poudrées à volumineux pastiches, qui consomment ces boissons distinguées. On y voit aussi toute l’évolution du faste des contenants pour ces produits élitistes dans des porcelaines provenant des plus célèbres fabriques européennes s’inspirant de turqueries et de chinoiseries.
Mais ce que j’ai apprécié c'est que les responsables de cette exposition n’aient pas laissé dans l’ombre l’envers de ces décors maniérés, c’est-à-dire les conséquences sociales et humaines de cet engouement. La production de ces philtres à destination des bonnes sociétés européennes a très vite été liée à l’esclavage. Par exemple, elle poussa à la colonisation de l’île Bourbon (la Réunion actuelle) où l’on planta des caféiers implantés du Yémen puis l’on organisa la traite négrière depuis Madagascar. En ce sens le mot exotisme, qui a gardé la trace d'un regard condescendant de l’Européen, a conservé un arrière-goût amer.
Musée Cognac Jay, 8, rue Elzévir Paris 3ème, jusqu’au 27 septembre 2015