Carrefour de l’histoire d’un continent. Singapour, à cause de l’image que les média en donnent, évoque irrésistiblement une forêt de tours de verre aussi dense que les downtown américaines. C’est ce que j’en avais retenu vu la première fois que j’étais allé dans cette ville, une des plus riches d’Asie. Quand j’y suis retourné récemment, j’ai découvert que cette ville-Etat avait aussi un côté vintage : elle a préservé quelques monuments et quartiers anciens du XIXème siècle et du début du XXème.
C’est ce que j’ai compris en visitant, entre autres, un ensemble de rues anciennes appelées Kampong Glam. "Glam" en langue malaise est le nom d’un arbre originaire d’Australie et d’Indonésie, le "cajeput tree". Et "Kampong" signifie "village" dans la même langue. Ce quartier, qui a vraiment l’air d’un village, a toujours été, depuis le début des années 1800, celui de la communauté malaise, autour d’une "mosquée du Sultan" au dôme recouvert d’or. C’était le pied à terre du Sultan de Johor (ville de Malaisie) qui gouvernait la région avant la colonisation. Il ne faut pas oublier que Singapour était resté partie intégrante de la Malaisie jusqu’en 1965, date de son indépendance.
Les chinois, que les anglais firent venir massivement comme travailleurs pendant la colonisation, sont largement majoritaires à Singapour. Toutes les religions et philosophies asiatiques sont pratiquées dans ce petit Etat (bouddhisme, hindouisme, taoïsme, confucianisme,…). La religion musulmane y est très minoritaire alors que le pays est situé entre deux pays musulmans géants (la Malaisie et surtout l’Indonésie, 1er pays musulman du monde). Ce quartier de Kampong Glam, sorte d’enclave musulmane, est classé depuis 1989 et a été soigneusement restauré. Il est devenu un quartier de cafés et de marques branchées, de galeries d’art, d’artisanat et de textiles. Beaucoup de visiteurs de passage, comme je l'ai fait, y font étape.
L’islam, et même des enseignes en arabe ou des restaurants turcs, sont visibles dans ce petit quartier où l’on croise des femmes voilées à la manière malaisienne. Mais en même temps, l’architecture, avec ses petites maisons basses colorées et ses rues à arcades, ressemble comme deux gouttes d’eau à celle des quartiers chinois anciens de villes de Malaisie, comme Malacca ou Penang,… Dans ces villes on perçoit aussi une influence venue de Hollande puisque ce pays européen a longtemps tenu des "comptoirs" -dont Singapour- dans la région pour alimenter sa Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Les peintures éclatantes des fenêtres du ministère de la culture m’ont même fait penser aux couleurs vives du quartier malais au Cap en Afrique du Sud, autre étape des bateaux sur cette route de l’Extrême Orient !
Le plus étonnant est que dans ce mélange néerlando-chino-malais-musulman qu’on trouve dans ce quartier Kampong Glam, on perçoive aussi une atmosphère vraiment "british empire". Cela s’explique : les anglais avaient récupéré les comptoirs hollandais de la Malaisie en 1815 (pour éviter que Napoléon qui avait conquis la Hollande ne s’en empare !). Ils constituèrent avec Penang, Malacca et Singapour ce qu’ils appelaient les "Strait Settlements" ou "Etablissements du détroit", contrôlant la route maritime vers l’Extrême Orient.
Devant certaines boutiques très select et soignées de petites rues galeries de Kampong Glam j’ai reconnu le style de grands hôtels d’inspiration britannique comme l’Eastern Oriental de Penang ou le Raffles de Singapour (dommage, je n’ai pas eu le temps de visiter !). Les anglais ont laissé à Singapour de grands monuments, des arches, ponts, tours victoriennes ou l’ancienne cour suprême qui avec son dôme a de faux airs de Saint Paul cathedral de Londres. Elle est face au Padang, un ancien terrain de cricket, comme le Merdeka Square du cœur de Kula Lumpur. Depuis 2015 cette ancienne cour suprême de Singapour est devenue National Gallery. Finalement, j’ai bien aimé l’ancien qui se marie plus souvent que je ne croyais au moderne dans cette ville étonnante.