Retour en Afrique. C’est tout à fait par hasard que je suis arrivée dans cette ville du Nord et que je suis entrée dans son musée. Je ne pensais pas y être confrontée à une telle émotion devant une sculpture qui m’a fait faire un voyage instantané dans l’Afrique de mon enfance.
Le musée est un monument du début du XXème siècle, riche notamment de quelques belles collections de peintures flamandes ou du peintre Watteau mais aussi de sculptures d’un enfant du pays Jean-Baptiste Carpeaux. Sa sculpture la plus célèbre est la danse sur la façade de l’Opéra de Paris. Je flânais dans ce musée sans en attendre quelque chose de particulier.
Or je suis tombée devant une des œuvres les plus expressives de Carpeaux datant de 1867 et intitulée « Pourquoi naitre esclave ? ». J’ai instantanément été pétrifiée devant cette œuvre bouleversante et en même temps très mal à l’aise. Elle représente un buste de femme noire, au sein dénudé, extrêmement belle et digne mais exprimant une vraie souffrance, mais gardant un regard droit qui ne s’incline pas. Surtout on voit des cordes avec lesquelles on comprend qu’elle est attachée.
Carpeaux aurait voulu faire référence à l’abolition de l’esclavage acquis des années plus tôt en France mais avec un message : cette libération n’est pas encore totale. Pour comprendre, il faut se référer à une autre œuvre de Carpeaux, la « fontaine des quatre continents » exposée avenue de l’observatoire à Paris. Quatre femmes représentant quatre continents y portent un globe terrestre. Celle qui représente l’Afrique garde à la cheville une chaîne brisée, mais celle qui représente l’Amérique a mis le pied sur le bout de chaîne restante comme si elle voulait tenir l’Afrique. Le message de Carpeaux qu’il fallait comprendre dans le contexte de son époque est qu'aux Etats-Unis après la guerre de sécession, la liberté n’était pas encore donnée aux noirs… Un message à mon avis très ambigu quand on se souvient qu’à la même époque la France était en pleine expansion coloniale !
Bref à Valenciennes j’ai vu dans cette négresse à moitié déshabillée comme un reflet de la femme africaine humiliée par l’esclavage et tous les apartheids qui ont persisté longtemps après. Elle garde une intensité très contemporaine comme si cette libération n’était pas encore totale : après l’esclavage, il y a eu la colonisation, puis le néocolonialisme, puis encore toutes les formes de racismes et aussi certaines traditions locales de soumission qui persistent, comme le mariage forcé ou l’excision. En tant que femme française mais africaine d'origine et que femme tout court, je me suis reconnue dans ce portrait. J’invite les femmes à aller au Musée de Valenciennes pour se faire photographier devant cette œuvre exceptionnelle.