Savoureux et drôle. Voltaire n’a jamais visité Cadix, ni Buenos Aires, ni le Paraguay, ni Cayenne, ni le Surinam, ni Constantinople, ni, sans doute Venise. Pourtant à partir de la Vestphalie, il nous fait visiter toutes ces villes et pays par son héros Candide. Son petit conte, « un petit livre portatif à trente sous » pour reprendre une de ses formules, est un conte philosophique. Son personnage principal, naïf, falot, « élevé à ne jamais juger de rien par lui-même », s’étonnant toujours de tout, est béat d’admiration devant Pangloss, un vieux salace qu’il considère comme « le meilleur philosophe d’Allemagne »,… une allusion très transparente au vrai philosophe allemand de l’optimisme, Leibniz dont Voltaire rejette les analyses. Avec sa plume alerte, décapante, sarcastique, moqueuse, ironique, Voltaire règle son compte à Leibniz en un tour de main. De rebondissements en malheurs grandguignolesques, d’un pays du monde à l’autre, il ridiculise dans la bouffonnerie les puissants, les riches, les militaires, le clergé, les jésuites et tutti quanti. On peut même reconnaître sans peine des personnalités contemporaines dans certains de ses personnages comme le gouverneur espagnol de Buenos Aires Don Fernando d’Ibaraa y Figueroa y Mascarenes y Lampourdos y Souza qui « parlait aux hommes avec le dédain le plus noble ». Bref, le très spirituel Voltaire fait mouche à tous les coups en manipulant comme une marionnette ce naïf Candide, lequel n’a comme seule espérance dans ce monde affreux que de « voler dans les bras de Cunégonde », sa bien-aimée. Parmi les auteurs du « siècle des lumières », j’aime bien aussi Jean-Jacques Rousseau, le grand rival de Voltaire. Mais, bien que Voltaire soit parfois obtus, borné ou complaisant avec les puissants et les aristos, il est bien plus drôle. Si vous n’avez pas lu son incroyable voyage, lisez-le, si vous l’avez déjà lu, relisez-le.