J’ai fait de nombreuses randonnées pédestres fantastiques à travers le monde. Par exemple pour aller dans le cirque de Mafate à la Réunion ou chercher un inselberg dans la forêt amazonienne de Guyane, ou encore découvrir la jungle de Bornéo autour du mont Kota Kinabalu,… Mais j’ai été vraiment séduit par celle que j’ai faite sur les hauteurs de l’île de Madère au milieu de l’Atlantique en suivant les "levadas" : 200 canaux d’irrigation que des générations d’hommes ont sculpté dans cette île portugaise pour transporter l’eau des régions nord-ouest les plus arrosées vers les terrasses fertiles du sud-est, mieux exposées au soleil.
J’ai trouvé ce travail de construction admirable. Il a commencé au XVIème siècle par un vrai travail de fourmis taillant le basalte, effectué par des paysans, des esclaves et des forçats, qui a permis de construire plus de 2000 kms de ces aqueducs naturels. Ces levadas suivent les courbes de niveau, en traversant parfois les montagnes par des tunnels ou en se croisant les unes les autres par des ponts. La plus longue est la "levada dos tornos" qui parcourt 106 kms. Encore aujourd’hui une armée de 230 "levadeiros" -qu’on croise de temps en temps- soigne ce patrimoine unique et exceptionnel, le nettoie, le répare et répartit l’eau aux paysans qui paient à l’heure le précieux liquide qu’ils reçoivent.
Pour faciliter le travail d’entretien des employés municipaux, des sentiers longent ce réseau de petits canaux où coule une eau limpide, bordée de mousses de toutes les teintes de verts et peuplée de truites insouciantes. Les levadas sont naturellement devenues des chemins de randonnées au milieu de paysages spectaculaires et sublimes. Grâce aux réparations incessantes de ces canaux toujours en usage, Madère est un royaume du trekking facile (les pentes sont douces) au milieu de forêts de montagne luxuriantes, en partie endémiques et protégées par un classement de l’Unesco. Mes heures de marche le long de ces sentiers ont été un grand bonheur de paix, d’oxygène et de beauté.
Les levadas sont en effet drapées d’hortensias géants, de bruyères millénaires ou de laurisylves sur lesquels pendent des barbichettes de lichens -des indicateurs de non pollution- comme j’en avais vu sur le chemin du cirque de Mafate à La Réunion.
Les sentiers sont parfois larges et confortables, parfois étroits et vertigineux, parfois frais et fleuris. Ils sont clairement fléchés, laissant cheminer sous des tunnels de végétations tortueuses, puis débouchant sur des scènes grandioses et ensoleillées. Ensuite, ils replongent dans des tunnels de pierre où une lampe est indispensable pour s’éclairer, puis ouvrent finalement sur d’autres panoramas encore plus majestueux. Avec les autres marcheurs, je me suis toujours senti accompagné par les chants de pinsons absolument pas farouches ou par de minuscules roitelets endémiques, vifs et virevoltants comme des colibris, surnommés "bis bis" à cause de leur sifflement répétitif. Un vrai bonheur !