Flux et reflux. Par définition un delta, c’est beaucoup d’eau. Dans le delta du Mékong, au Vietnam, les eaux puissantes qui arrivent ont parcouru 4500 kilomètres depuis les hauts plateaux de Chine. Elles s’étalent sur le 1/12ème de la superficie de la France, avant de se déverser dans la Mer de Chine. Je suis entré dans ce delta géant et je m'y suis inscrusté. Certains bras de ce delta sont si larges que dans la brume du petit matin je n'en percevais même pas l’autre rive. On appelle d'ailleurs les quatre plus grandes branches du delta des "fleuves". Les bacs mettent jusqu’à trois quarts d’heures à les traverser. Selon les marées, les eaux douces descendent vers la mer ou remontent, et j'ai été impressionné de voir la force du courant salé refluer sur des dizaines de kilomètres vers l'amont.
Une fois par mois, au moment de la nouvelle lune, l’eau atteint des niveaux que nous jugerions catastrophiques en Europe. Mais les Vietnamiens du delta, qui sont imprégnés de ces rythmes et de leurs excès, ne s’en affolent jamais. L’eau finit toujours par repartir. Autour des plus grands bras, les eaux se vascularisent en bras de plus en plus petits. Les Vietnamiens parlent du "delta des 9 dragons" en référence aux neuf principales branches. Entre ces grandes branches, les plus petites rivières de cet entrelacs sont enfouies sous une épaisse végétation de palmiers d’eau. Ces espaces de calme absolu ont pourtant été le théâtre de batailles impitoyables dans la guerre qui a opposé américains et vietnamiens. Je suis allé découvrir ces anciennes caches du Viet Minh.
J’ai eu envie d’explorer davantage cet archipel gigantesque à l’intérieur du Vietnam et j’ai fini par poser mes valises dans un hébergement isolé, confortable et paisible près de l’eau, le VenSông Lodge. Il est tout près d’un des plus grands bras du delta, le fleuve Tiên Giang. A partir de ce pied à terre du bord de l’eau, j’ai pu explorer les méandres des neuf dragons en regardant passer les plus gros et les plus petits bateaux, les plus robustes péniches et les plus frêles barquettes et en mettant moi-même souvent le pied sur toutes sortes d’embarcations pour traverser, remonter ou descendre et visiter les veinules de cet immense réseau fluvio-marin.