Je ne suis entré en Serbie ni par l’aéroport ni par la route, mais par voie fluviale, celle du Danube, cet immense fleuve de 3000 kms qui traverse l’Europe d’ouest en est, depuis sa source allemande en Forêt Noire près de la France, jusqu’aux bordures de l’Ukraine. J’étais parti en bateau en remontant ce fleuve depuis le delta du bord de la Mer Noire en Roumanie pour remonter jusqu’à Budapest en Hongrie.
Et à un moment, le Danube traverse la Serbie. Avant d’arriver à Belgrade, ce fleuve majestueux se resserre brusquement entre la Roumanie et la Serbie comme s’il cherchait à contenir les montagnes des Carpates côté roumain de celles des Balkans côté serbe. C’est un enchainement de défilés redoutables et de rochers tombant à pic sur plus de 130 kms. A cet endroit, un géant de 40 m de haut sculpté dans la pierre côté roumain semble surveiller l'entrée en Serbie. On appelle ce passage les " portes de fer " parce qu’autrefois des chaînes métalliques coupaient le passage pour signaler un péage. Ce fut pendant des siècles une zone d'affrontements entre l’empire ottoman et l’empire austro-hongrois qui se sont combattus ici dans d’âpres et interminables batailles.
Un pays rudoyé par l’histoire
Un moment près cette spectaculaire et rude entrée en Serbie, le Danube entre dans Belgrade. Comme les séismes qui travaillent les montagnes coupées par le Danube, Belgrade a connu une histoire tourbillonnaire. La ville, sans cesse conquise et reconquise, a été, entre autres, occupée par les romains, les huns, les byzantins, les slaves, les bulgares, les hongrois, les turcs... lesquels n’ont quitté la Serbie qu’en 1878, c'est à dire il y a moins de 150 ans. Puis l’épisode de la grande Yougoslavie communiste du maréchal Tito s’est terminé par un éclatement et un embrasement du pays et par des bombardements de l’Otan. On voit des traces de toutes ces périodes dans la ville.
La ville blanche
Un des témoins de ces déchirements est la forteresse Kalemegdan, massive comme une forteresse de type Vauban en France, qui assemble des briques autrichiennes et des pierres ottomanes, lesquelles ont gardé des graffitis de cette époque turque. En me promenant dans le parc de ce château, une de mes grandes surprises a été de découvrir au pied d’une statue datant de 1930 une inscription en français à la gloire des relations franco-serbes : " aimons la France comme la France nous a aimés 1914-1919 ". Je pense qu’à une certaine période, il était heureux que les serbes ne comprennent pas le français.
La Serbie, encore en marge de l’Union européenne, est restée meurtrie et tiraillée par les épisodes de son histoire. Par exemple ses gourmandises restent sous influence du sachertorte ou du kirschenstrudel autrichiens en même temps que du baklava ou des loukoums turcs (l'embarras du choix dans les pâtisseries !). Le cœur du pays balance entre le monde et la langue slaves et l'Europe occidentale. Mais c’est flagrant, les serbes redressent la tête. La preuve la plus manifeste et la plus symbolique de leur volonté de reconstruire, je l’ai observée dès la première visite à laquelle on m’a entrainé, celle de la cathédrale Saint Sava, qui est la fierté de Belgrade.
Une cathédrale toute neuve
Belgrade en slave veut dire " ville blanche ". Or l’énorme Saint-Sava se détache par la blancheur de son marbre. L’histoire de cet édifice est étonnante et sa construction semble sans fin, un peu comme la Sagrada Familia à Barcelone. Sa construction avait commencé avant la deuxième guerre mondiale. Stoppée par la guerre puis par le communisme elle n’a véritablement pu reprendre qu’au début des années 2000. Son architecture est inspirée du modèle de Sainte Sophie de Constantinople avec l’ambition d’être une des plus grandes cathédrales orthodoxes du monde, capable de recevoir plus de 10 000 fidèles. Sous ses immenses coupoles, j’ai vu un flux incessant de fidèles défiler devant une iconostase provisoire au milieu d’un immense chantier.
Novi Sad la multiculturelle
Après Belgrade, mon véritable coup de cœur a été pour la ville de Novi Sad, aussi construite sur le bord du Danube. Elle est dominée par la forteresse Petrovaradin, un bastion contre les turcs édifié par les austro-hongrois, douze fois plus grand que la forteresse de Belgrade. Surnommée "Gibraltar sur le Danube", Patrovaradin domine le fleuve à 110 mètres de hauteur. Le panorama est exceptionnel à la fois sur le Danube et sur la vieille ville, à hauteur des clochers de Novi Sad.
Novi Sad qui est la capitale d’une région appelée la Voïvodine a toujours affiché un esprit très autonome. Au XVIIème siècle, les marchands avaient acheté à l’impératrice Marie-Thérèse des privilèges de cité libre. Comme beaucoup de villes-étapes sur le Danube, Novi Sad a surtout été un lieu de brassage étonnant de peuples. Je l’ai constaté à un détail qui a attiré mon attention : la plaque d’entrée de la bibliothèque de la ville est écrite en serbe, hongrois, russe, slovaque et roumain. Pas étonnant que Novi Sad ait été surnommée " l’Athènes serbe ". Conséquence logique, ses habitants sont considérés comme souples, pacifiques et tolérants.
Une Serbie d’aujourd’hui
J’ai vraiment pris un vrai plaisir à flâner le soir dans cette ville moyenne, charmante, coquette, jeune, décontractée et agréable à vivre, et à traîner dans ses rues piétonnes, riches d'histoire, notamment autour de la place de la Liberté où trône la statue d’un ancien maire, Svetozar Miletic, qui a des faux airs de Karl Marx. Mais ce n’était qu’une impression. Novi Sad, polyglotte et multiculturelle et ouverte, est pour moi le symbole de la Serbie moderne qui a séché ses larmes et vit dans le présent. Chaque été d’ailleurs, un des plus grands festivals de musique du continent, Exit, rassemble à Petrovaradin plusieurs dizaines de milliers de jeunes de l’Europe entière.
Destinations concernées: