Le Japon en pédalant. Pour Antoine Piazza, le vélo est "comme une prothèse", selon sa formule. Une prothèse dont il n’arrive pratiquement pas à se séparer. C’est sa manière de voyager doucement et de découvrir un pays dans ses entrailles que sont les lacis de ses routes. C’est dans cet esprit qu’il s’est lancé sur les routes de Shikoku, la plus petite des quatre grandes îles du Japon. Comme il l’avait déjà fait en Ecosse ou en Carélie finlandaise.
Il a choisi un mois de février en admettant que c’est "inconscient". Il parcourt donc des paysages montagneux froids et brumeux, balayés d’averses incessantes, sur des chemins détrempés et déserts, en basse saison, hors de tout circuit touristique. J’ai eu l’impression en lisant son récit qu’il pleuvait tout le temps. A tel point que je me suis demandé s’il n’y avait pas un soupçon de masochisme dans son voyage. Il décrit son corps "mâché par des heures de route, par le vent, le soleil, le froid humide des tunnels". Ailleurs, il rapporte "une impression de liberté et une autre, de solitude, qui se mêlaient à la fatigue". Et dans ce contexte, il décrit un Japon peu attrayant : "les japonais édifièrent n’importe quoi à peu près n’importe où".
Mais son "slow travel"aurait pu favoriser des rencontres humaines. Or il croise très peu de monde et ses échanges se limitent au minimum vital, en particulier à cause de la langue. Son livre est avare de dialogues. « J’étais seul, j’étais libre, » écrit-il en ajoutant "les rares personnes que je croisais n’avaient rien à me dire, rien à me demander. De toute façon, elles n’avaient pas les mots pour cela." Baignant dans les malentendus interculturels, il décrit des japonais faisant des courbettes "comme des automates, le visage souriant et les yeux clos". Il parle d’une "population qui ne cesse pas d’être lointaine, mystérieuse et insaisissable".
Ce qui me gêne le plus dans son livre est son ton neutre, descriptif, presque triste, le plus souvent sans passion ni émerveillement. Son style est soigné, sage, limpide, lisse, parfois étiré avec des descriptions minutieuses et des phrases longues pour dire des choses ennuyeuses. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas ressenti de coup de foudre. "J’étais sur un territoire doté d’une route et rien d’autre", avoue-t-il. En lisant son livre je me suis mis dans dans la peau d'un voyageur cycliste, avec le courage et la persévérance qui lui sont associés. Mais j’ai refermé ce livre sans avoir la moindre envie d’aller à Shikoku. C'est dans les dernières pages que j’ai peut-être trouvé une des clés de sa pensée d'écrivain qui rejoint sa résignation de cycliste souffrant : "après des années consacrées à l’écriture, je ne savais toujours pas si celle-ci était une aliénation ou une délivrance, si elle était un moyen d’appartenir au monde ou de lui échapper".
"Un voyage au Japon" d’Antoine Piazza, éditions du Rouergue 2010 et Actes Sud collection Babel 2015