Rando insolite. J’étais à Cameron Highlands, une zone de montagnes au cœur de la péninsule de Malaisie. L’agence de voyages locale de Tanah Rata m’avait vendu un circuit et une vue panoramique exceptionnels au Gunung Brinchang : à 2032 mètres d’altitude, il s’agit d’un des sommets de la région. Il est surmonté d’un observatoire métallique d’où l’on peut apercevoir, par beau temps, m’avait promis l’agence, jusqu’au détroit de Malacca et à la chaîne de montagnes voisine du Titiwangsa. Quand j’y suis arrivé on ne voyait rien, tant l’humidité des nuages qui nous enveloppait à cette hauteur était épaisse. On devinait tout juste les arbres les plus proches qui nous tendaient leurs branches sombres, quelques fougères tropicales tentaculaires et des buissons pointillistes piqués de fleurettes roses qui se détachaient avec peine de la brouillasse.
Déçu ? Pas vraiment parce que cet espèce de phare insolite dans la brume avait une allure étrange et surréaliste, c’était son charme : une tour (rien à voir avec les tours de Kuala Lumpur qui appartiennent à un autre monde) en ferraille brinquebalante hérissée d’antennes mais rongée par la rouille et recouverte de lichens orangés. Vue de son sommet, elle semblait planer au-dessus de la jungle sauvage, foisonnante, peuplée de cris d’oiseaux, mais invisible et irréelle. Ca me semblait digne d’un polar à suspense. Dans le voisinage, à Gunung Mentigi, m’a expliqué mon guide, les anglais avaient construit une de leurs plus importantes forteresses en Asie. Elle fut pourtant prise et occupée par les japonais pendant la dernière guerre mondiale. Il me susurre aussi l’histoire d’un ancien membre de la CIA, Jim Thompson, disparu un peu plus bas en 1967 sans laisser de traces. Etrange !
Cette tour en ferraille de Gunung Brinchang qui a de faux airs de plate-forme pétrolière fantasmagorique est surtout le point de départ pour les randonneurs prêts à un frisson d’aventure dans la jungle primaire la plus dense qui l’entoure. Pour les plus timorés ou pressés, un confortable parcours a été aménagé, à Mossy Forest, juste à côté, sécurisé par des passerelles et des escaliers de bois suintant d’humidité. J’ai testé cette plongée la plus facile dans la brumisation des nuages au fond de cette jungle émeraude sombre de chênes et de lauriers tropicaux fantomatiques sur lesquels pendent de longues barbules de mousses sorties d’une scène du « Seigneur des anneaux ». Quelques papillons mirifiques au vol titubant s’échappent du voile de brume. Verrons-nous de plus gros animaux comme les gibbons dissimulés derrière la végétation ? Nous n’aurons pas cette chance. Mon guide m’y fait sentir quelques parfums étourdissants, simplement en frottant une feuille ou en coupant une racine et il déniche d’incroyables orchidées qu’il extrait de ce mystère ouaté.