Le Pacifique en long et en large. J’admire les grands navigateurs de notre XXIème siècle qui partent pendant plusieurs mois à l’aventure autour du globe. Mais que dire des découvreurs du XVIIIème ! Dans les années 1770 (près de 250 ans avant nous mais plus de 280 ans après Christophe Colomb), à chaque fois que l’anglais James Cook part à l’aventure sur les mers autour du monde, avec des bouts de cartes approximatives et une technologie rudimentaire, on reste à peu près sans nouvelles de lui pendant 3 ou 4 ans. Les aventuriers d’aujourd’hui sont des enfants ce chœur à côté de lui.
J’ai embarqué à ses côtés, par la lecture de ses récits, dans ses circumnavigations qui l’emmènent vers des terres inconnues, où il dresse les premières cartes des îles qu’il découvre, rencontre des populations inconnues, parfois hostiles, voire cannibales comme en Nouvelle Zélande où certains de ses hommes y laissent leur peau. Dans le contexte de concurrence impérialiste de l’époque (il est le rival du français Bougainville), il "fait arborer les couleurs anglaises et prendre possession au nom de sa Majesté" des nouvelles terres qu’il rencontre.
Pour approcher ces terres, il doit trouver, entre de violents courants et des vents incertains, des passes au milieu de barrières dont le corail peut déchirer à tout moment sa coque en bois. En cas de pépin, il ne peut compter que sur ses propres moyens pour réparer les dommages subis. Il a aussi l’obsession de renouveler à temps ses réserves d’eau douce et de trouver des produits frais pour lutter contre le redoutable scorbut. Partout il cherche le contact avec les "naturels" (autochtones) qu’il rencontre, en restant toujours sur ses gardes. Au retour il est heureux de n’avoir perdu que quelques hommes.
James Cook entreprend ainsi 3 voyages autour du globe, principalement concentrés sur des découvertes dans le Pacifique qu’il parcourt dans tous les sens. Tout au nord, il tente en vain de percer le passage du nord-ouest en butant sur les glaces de l’Arctique. Tout au sud, il s’aventure aussi en vain dans les mers glacées du continent Antarctique dont il subodore seulement l’existence.
Entre les deux, il découvre de nombreuses îles, des plantes inconnues et de nouvelles espèces d’animaux (comme les kangourous en Australie qu’il pense être de grands lapins). Il décrit les populations (les aborigènes d’Australie qui ne connaissent pas le fer, des indiens d’Amérique, les habitants de l’île de Pâques) et tente de percer leurs langages.
Son récit, qui est parfois compte-rendu de marin ou de géographe ardu, devient par moments, haletant et passionnant. Par exemple quand il est poussé sur des brisants, qu’il heurte un récif ou que la dysenterie décime son équipage. A Tahiti et dans les "îles de l’amitié" (Tonga), où il repasse à de nombreuses reprises, ses pages sont un hymne aux civilisations locales dont il décrit les grandes manœuvres de la flotte navale, les chœurs, les ballets, les luttes et acrobaties, les cérémoniaux royaux et religieux… Il y adopte un plat de poisson au lait de coco : "bien que mon chef l’ait assez bien réussi, écrit-il, le plat qu’il obtint n’était pas comparable à celui qu’il copiait".
Hélas son journal est terminé par un de ses adjoints, le capitaine King. En effet à la suite d’un incident qui dégénère avec les populations d’Hawaï, dont il est pourtant admiratif, il est massacré et découpé en morceaux le 14 février 1779. "Nous eûmes les preuves les plus convaincantes de leurs intentions amicales", écrivait-il juste avant dans les dernières pages de son journal. Sa dernière phrase parle d’une "découverte qui, bien qu’elle fût la dernière, paraissait à bien des égards la plus importante qu’eussent faite jusque-là des Européens, sur toute l’étendue du Pacifique". Preuve que l’interculturel, reste toujours encore aujourd’hui un des plus grands malentendus des voyages.
Editions La Découverte/ Poche