Voyage au fond de l’horreur. Sur la route de l’Alsace, je me suis arrêté à Verdun et, quelques kilomètres plus loin, à l’ossuaire de Douaumont planté comme une écharde dans cette terre meurtrie, figée dans la mort. Je n’aime pas Verdun en ce qu’il évoque ici, une bataille cyclopéenne et insensée. Ni cet ossuaire (un nom qui me fait frémir !) dressé comme un obus géant accolé à une casemate, au milieu d'immenses parterres fleuris de croix blanches.
Tout autour, les collines remodelées et labourées il y a 100 ans par des tonnerres d’artilleries ont enfoui vivants, baïonnettes en l’air, des soldats terrés comme des rats et dopés à la gnôle supposée anesthésier leur peur. Un siècle après, l'argile continue de régurgiter leurs squelettes. Nos grands-pères ou les pères de nos grands-pères ont vécu cette apocalypse, au sens noir du terme. Les survivants hébétés en ont rapporté des douilles d'obus en cuivre repoussé qu'ils avaient sculptées au fond des tranchées boueuses pour les poser comme des vases de fleurs sur leurs cheminées.
Car c’était, pensaient-ils, la « der des der », la dernière des dernières des guerres. Or les cimetières que j’ai visités en Normandie ou le mémorial de Yad Vashem en Israël montrent que le plus profond de l’abomination n’avait pas été atteint. J’écris malgré tout que j’ai aimé « un peu » Verdun parce que, un peu plus loin, dans la vieille ville de Verdun qui avait échappé miraculeusement à l’anéantissement total, j’ai trouvé, sans le chercher, le "Centre mondial de la paix, des libertés et des droits de l’homme". Sur les ruines du désespoir fleurit un germe d'espoir. La mémoire ne doit pas être effacée. S'il faut faire visiter les lieux de désolation et d'absurdité aux enfants et petits enfants, il faut aussi leur donner à planter une graine d'espérance.
J’ai donc choisi de rapporter de Verdun, cette seule photo, celle de l’espoir : le chemin d’entrée à ce centre a ralenti mes pas car, en passant sur ce texte, je voulais le mémoriser : "la guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix". Cette formule lumineuse lancée par l’Unesco souligne que la paix est un chemin et un combat permanent d’éducation. J’ai noté cette phrase sur un petit papier, plié dans mon portefeuille. Je l'emporterai dans mes voyages pour construire l’avenir, malgré tous les ossuaires que je croiserai dans le monde qu’ils soient au Cambodge, en Bosnie, au Rwanda ou ailleurs.