Voyages sur papier. Gilles Lapouge démolit le mythe du voyageur. Il se dit "pas voyageur pour deux sous", mais il veut bien le devenir pour faire plaisir à ses lecteurs et à ses amis qui organisent le festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo : "au lieu d’être un écrivain-voyageur parce que j’avais voyagé, je voyageais parce que j’étais un écrivain- voyageur ", leur lance-t-il en ajoutant : "j’ai vérifié ce que savent tous les voyageurs : ce n’est pas le tout de voyager. C’est au retour que commence le boulot : quand on raconte le voyage."
Sa théorie est littéraire et intellectuelle : "un voyage n’est que de l’encre. Toute exploration est le souvenir d’un ancien manuscrit ". Il part d’un postulat : "Un voyage non seulement n’existe qu’à partir du moment où on le convertit en encre, mais encore tout voyage, y compris dans les terres inconnues, n’est que le souvenir d’une encre ancienne". Moi qui passe mon temps, comme beaucoup de journalistes et bloggeurs, à lire des livres de voyages et à écrire mes voyages, je ne le contredirai pas.
Pourtant, je pressens le côté spécieux de son raisonnement poussé à l’extrême parce que je sais qu’il existe des voyageurs qui ne lisent et n’écrivent jamais, qui ne savent pas où ils vont ni d’où ils viennent., etc,...En réalité j’ai compris entre les lignes que ce voyageur faussement modeste qu’est Gilles Lapouge est en fait un grand voyageur puisqu’il décrit et raconte par le menu ses voyages, par exemple dans les îles ou en Inde. Ses voyages ne sont pas que de l’encre, mais leur réalité produit de l’encre.
Ce faux naïf réécrit donc sa réalité, la revoit, la déforme, la caricature, la simplifie d’un trait pour mieux se moquer. Par exemple, en Inde, il écrit : "nous avons bien regardé les vaches, elles ne sont pas sacrées pour un sou. Elles sont malignes : elles font croire aux hommes qu’elles sont sacrées." etc,.. Ainsi, du début à la fin de son livre, le ton est badin, humoristique, léger, ricaneur.
Il écrit comme il parle : beaucoup. Souvent au 2ème ou au 3ème degré. Souvent avec des mots volubiles et volatiles et de belles phrases pour dire peu de choses, en virevoltant et en papillonnant d’une idée à une autre. On ne sait plus ce qui est vrai ou faux, et surtout ce qu’il pense. Il joue au vocabulaire comme on joue aux quilles avec des mots fétiches récurrents : apophtegme, palimpseste ou thalweg.
Mais ce que j’aime c’est qu’il sort ses formules avec brio. Quand il folâtre sur les idées, c’est tellement bien écrit, avec des éclairs de génie, de drôlerie et d’esprit loufoque, que c’est un plaisir à déguster. Au fond je me demande si ce journaliste de radio n’écrit pas, en reconstituant des saynètes, par exemple une impayable histoire de corneilles de mer à Goa en Inde, pour qu’elles soient dites, sur un ton théâtral ou radiophonique. Gilles Lapouge est un bel écrivant, comme il y a de beaux parleurs. Mais rares sont ceux qui ont son talent.
Editions Albin Michel
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