Le voyage qui sépare. Entre un homme et une femme, insidieusement, la distance et le temps creusent l’écart. C’est la thèse de cet écrivain autrichien dans cette brève nouvelle de moins de 80 pages. La mécanique paraît impitoyable, à l’image de la nature de cet auteur, au bonheur impossible qui mit fin à ses jours en même temps que sa compagne.
Le couple qu’il met en scène dans cette histoire est réuni par un coup de foudre inavoué et il est séparé trop tôt pour se connaître. Juste avant le départ en voyage de son héros, celle dont il est épris lui promet qu’elle se donnera à lui dès son retour. Car il est envoyé en mission loin, au Mexique. Ce sera le voyage fatal pour leur amour. En fait, pour Stéphan Zweig le voyage n’est qu’un prétexte pour les besoins de sa démonstration. Il ne dit à peu près rien du Mexique où son personnage restera beaucoup plus longtemps que prévu et se mariera.
Je ne partage pas le pessimisme de Zweig, mais je suis un inconditionnel de l’écriture, du style et de la finesse des traits psychologiques que ce très grand écrivain arrive à exprimer. On ressent intimement la montée des sentiments amoureux, puis leur effacement progressif et leur ultime et vain regain : ce qui était lumineux, intense et fort quelques années auparavant n’a plus de sens quelques années plus tard, lors des retrouvailles. Le passé ne peut pas être le présent.
Ce qui me frappe dans son écriture est que les sentiments qu’il exprime par ses personnages paraissent tellement vrais qu’il semble difficile qu’il ne les ait pas vécus lui-même. Comment ne pas faire un lien, par exemple, avec sa première épouse Friderike, qui ressemblait au personnage féminin de sa nouvelle, déjà en couple avec des enfants, quand il l’a connue. Les incessants voyages et départs de Stephan Zweig ont fini par distendre les liens avec Friderike. Il a ensuite épousé une autre femme, Charlotte, très discrète jusqu’à la fin, comme la femme que le personnage de son livre épouse au Mexique et que Zweig n’évoque à peine qu’en quelques mots. Car Friderike a gardé une grande importance dans sa vie, même s’il n’a pas pu renouer avec elle.
Stephan Zweig, écrivain juif de langue allemande, était francophone et francophile puisqu’il a traduit en allemand Verlaine et Verhaeren et qu’il était ami de Romain Rolland. Il était un grand voyageur, poussé par les circonstances de la guerre et du nazisme mais aussi par ses besoins de découverte ou pour répondre aux invitations générées par sa célébrité. Une de ses traductrices, l’écrivain Isabelle Hausser parle même d’une « manie du voyage ». Mais ses voyages transparaissent assez peu dans son œuvre comme si cet ami de Freud qu’il était, ne pouvait pas se détacher de la psychologie profonde de ses personnages.
Editions Grasset, Livre de poche. Titre allemand : « Die Reise in die Vergangenheit »