Le monde arabe de long en large. Cet écrivain européen s’est complètement fondu dans la religion musulmane et inséré dans le monde arabe qu’il a parcouru dans tous les sens pendant la première partie du XXème siècle. Il a vécu des aventures qui, dans le contexte actuel, seraient impossibles à un occidental. Moi qui ai voyagé au Proche-Orient, dans le Golfe, en Arabie Saoudite, au Yémen et en Syrie, j’ai vu le contexte géopolitique de cette région bouleversé en quelques décennies. Le livre de Muhamad Asad est le récit des 32 premières années de sa vie : les images de sa jeunesse lui remontent en flashs back tout au long d’un voyage qu’il a réalisé à dos de dromadaire en 1932 à l’intérieur de l’Arabie Saoudite, en allant vers la Mecque.
Le nom d’origine de cet homme au destin exceptionnel, né avec le XXème siècle, était Léopold Weiss. Il était juif, né dans la ville polonaise de Lwow (ou Lviv), alors sous domination autrichienne, aujourd’hui en Ukraine. Petit fils de rabbin orthodoxe, il parlait, entre autres, polonais, allemand, hébreu et s’était familiarisé avec l’araméen, ce qui l’aida plus tard à apprendre l’arabe. Il apprendra aussi l’anglais, le persan, l’ourdou... Ce vrai polyglotte commença sa carrière de journaliste en Palestine anglaise, comme correspondant d’un journal allemand au Proche-Orient. Tout de suite, ce jeune intellectuel juif insouciant mais en« état de frustration éthique » rejeta le sionisme et fut fasciné par le tempérament, la manière de penser des arabes et leur abandon à Dieu… jusqu’à sa propre conversion à l’islam.
En parlant de son livre, il dit : « Ce n’est pas un récit d’aventures, car bien que mon chemin ait été marqué par bien des aventures étonnantes, celles-ci ne furent jamais plus que l’accompagnement de ce qui se passait à l’intérieur de moi-même ». Pourtant quelle odyssée et quelles péripéties ! De Jérusalem, il part découvrir l’Egypte, puis, à pied, la Syrie sous protectorat français. Puis il passe 6 ans en Arabie Saoudite où il devient hôte et ami du roi Ibn Saoud qui lui confie plusieurs missions délicates, notamment en Cyrénaïque italienne (l’actuelle Libye) et au Koweit. Il découvre ensuite l’Iran puis l’Inde où il s’engage pour la création de l’Etat musulman du Pakistan dont il deviendra le représentant aux Nations Unies. Il a fini ses vieux jours à Tanger, puis en Espagne. Ses écrits ont fait de lui une des sommités mondiales de l’islamologie.
Son livre, raconté comme un cheminement physique, intellectuel, moral et religieux est admirablement écrit, coupé de nombreux épisodes et rebondissements haletants, avec des élans poétiques et mystiques. En voici les premières lignes : « Nous cheminons et cheminons, nous, deux hommes sur deux dromadaires. Le soleil est flamme au-dessus de nos têtes. Tout est éclat, éblouissement et inondation de lumière. Les dunes sont rouge orange. Après ces dunes d’autres dunes. Solitude et silence brûlant. »
Je n’adhère pas à toutes les idées de Léopold Weiss, alias Muhamad Asad, mais j’avoue que la connaissance en profondeur du monde arabe et de l’islam de cet infatigable voyageur fait réfléchir et aide à comprendre l’actualité du XXIème siècle. Il avait en même temps des côtés de visionnaire lorsqu’il écrivait par exemple à propos de rebelles ikhwan de la péninsule arabique : «Ils croyaient lutter pour la pureté de leur foi et pour la plus grande gloire de Dieu, ne sachant pas que leur ferveur et leurs aspirations avaient été attelées aux ambitions d’un chef sans scrupule et avide de pouvoir personnel ». Une observation intemporelle qui aurait pu être écrite en 2015.
Editions Fayard, Bibliothèque des voyageurs, 1979