Le premier tour du monde romancé. Aujourd’hui quand un "explorateur" se lance dans une aventure, il sait où il va. Même dans les zones les plus reculées, il dispose de cartes ou de photos satellites, de médicaments,... Partout il peut être localisé et garder un contact avec l’extérieur et il sait qu’en cas de pépin tous les moyens d’assistance seront mis en œuvre pour le retrouver et le sauver. Je me suis donné moi-même donné des frissons d’explorateur, lors de voyages à Bornéo ou en Amazonie par exemple. Je me rends compte à quel point mes frissons étaient dérisoires.
L’intérêt du petit livre de Philippe Nessmann est de montrer que le mot "explorateur" au XVIème siècle avait un tout autre sens que celui qu’il a au XXIème siècle : Magellan "pensait" qu’il pouvait faire le tour du monde, mais sans savoir par où passer, ni combien de temps il faudrait ; il n’avait évidemment pas de cartes ; il réussit, mais à quel prix, puisque parti avec 5 nefs et 260 hommes, l’équipée ne se terminera que trois ans plus tard avec une seule nef, la Victoria bien nommée, et seulement 18 survivants ; Magellan lui-même avait péri aux Philippines et son histoire n’a été connue que parce qu’un des survivants Antonio Pigafetta en a fait le récit…
Le livre de Philippe Nessmann reprend, dans un langage contemporain, l’aventure de Fernand de Magellan dans son premier tour du monde. Un ouvrage si facile à lire qu’il convient à des enfants. J’avoue même que, par moments, il m’a laissé sur ma faim, comme la seule carte un peu indigente qui est donnée en illustration. Mais cet ouvrage est forcément plus facile à lire que le récit de Pigafetta intitulé "Navigation et découvrement de l'Inde supérieure et îles de Malucque où naissent les clous de girofle". Philippe Nessmann explique lui-même que son roman "est un mélange de faits tels qu’ils se sont réellement produits et de faits tels qu’ils auraient pu se produire". Il a utilisé les journaux de bord de l’époque, les travaux des historiens et a imaginé le reste.
Le mérite de son livre est qu’il m’a éclairé sur les incroyables difficultés de ce tour du monde. Bien sûr, il y avait l’inconnu. A l’époque de Magellan, les marins étaient persuadés par exemple que « des créatures démoniaques se tenaient prêtes à dévorer les navires qui passeraient au-dessus » ou que "dans les mers du sud, le soleil descendait si bas qu’il faisait bouillir l’eau et brûlait voiles et marins". Il fallait donc une forte dose d’inconscience pour partir. Et puis il fallait affronter des tempêtes sur des bateaux fragiles et une maladie alors mystérieuse, le scorbut, qui décimait les équipages.
Mais certaines des préoccupations d’il y a 500 ans restent très contemporaines. La première est l’économie qui a été le moteur de ce voyage : les clous de girofle, la muscade et la cannelle avaient plus de valeur à l’époque que l’or et l’argent. Or pour se procurer ces valeurs, là où elles poussaient, les Moluques aux Philippines actuelles, fortune avait été promise par Charles Quint aux marins qui trouveraient une autre route pour les atteindre, d’où les risques pris par Magellan et son équipage. La deuxième constante est la politique des grands pays. En 1494, les deux puissances maritimes rivales de l’époque, le Portugal et l’Espagne, s’étaient partagé le monde nouveau au traité de Tordesillas. Magellan qui était portugais mais avait pris la mer pour l’Espagne, était considéré comme un traitre alors que son équipage était composé de portugais et d’espagnols, situation qui se révélera explosive.
La troisième constante que j’ai perçue est le caractère humain. Le plus redoutable pour Magellan n’a pas été les tempêtes, les indigènes anthropophages ou le scorbut mais les intrigues et les divisions à bord des cinq nefs qui ont débouché sur une grande mutinerie. Pour survivre, Magellan est obligé de ruser et de sévir : il exécute un des meneurs et en abandonne deux autres sur le rivage. Un trait du caractère humain, toujours vrai aujourd’hui, est la nécessaire disposition d’esprit des aventuriers : un explorateur doit être fort, bien trempé, persévérant, courageux et sans doute surtout un peu téméraire. Je l’ai moi-même testé dans mes premiers voyages, les plus fous et les plus imprudents.
Editions Flammarion, 2006