Ballade au pays des séraphins. Comme des dizaines de milliers de visiteurs de toute l’Europe, j’ai fait un grand détour pour voir de mes propres yeux cette vedette mondiale. A l’entrée de la cathédrale de Reims, cette grande statue ailée de calcaire de 2,6 mètres de haut, logée dans l’embrasure qui surplombe le portail nord de la façade, accueille les visiteurs, souriante comme un bon ange gardien. Le visage penché de cet « ange Saint Nicaise » sculpté par des mains anonyme du XIIIème siècle transmet une douceur tellement gracieuse, malicieuse et communicative qu’il a été rebaptisé « l’ange au sourire ».
Saint Nicaise ? Il fut un des premiers évêques de Reims qui au Vème siècle aurait été décapité par les Vandales ou les Huns et qui, comme Saint Denis, aurait lui-même porté sa tête une fois décapité. Or, la statue de ce messager qui porte son nom sur la cathédrale de Reims a été décapitée à son tour 700 ans plus tard le 19 décembre 1914 lors de la première guerre mondiale, au cours de laquelle 300 obus ont atteint l’édifice. Les morceaux de la tête brisée de l’ange ont alors été pieusement ramassés par un certain abbé Thinot, ….tué l’année suivante au front pendant cette grande guerre.
Quelques années plus tard, ces fragments de figure d’ange sont retrouvés et, à partir d’un moulage conservé au Musée des monuments français à Paris, son visage peut être reconstitué et remis en place en 1926. Cette seule statue, parmi les 2300 disséminées dans la cathédrale, devint alors un véritable mythe du génie et du patrimoine français. Des timbres postes montrant son beau sourire ont été émis en 1930 et il devint un objet culte commercial (statuettes, porte-clefs, abat-jours,...). Une maison de champagne en fait même son icône.
Il en résulta une mobilisation internationale pour restaurer la cathédrale gothique Notre-Dame de Reims, inscrite plus tard au patrimoine mondial de l’Unesco. Même John David Rockfeller Junior prit personnellement en charge la réfection de la toiture. Cette cathédrale connue pour être le lieu du sacre des rois de France, avait déjà été baptisée la « cathédrale des anges » par un historien en 1906, tellement les anges prolifèrent dans sa statuaire. J’en ai même découvert, sans trop chercher, dans les recoins des vitraux, et j’étais aux anges. "Etre ange c'est étrange", écrivait Jacques Prévert.