Une affaire jamais résolue. Dans l’hôtel Cameron Highlands Resort en Malaisie où je viens de poser ma valise, je suis surprise de découvrir le portrait de Jim Thompson un peu partout. Je le vois dans des cadres auprès de la cheminée de son salon très cossu, en poster au fond de la boutique de vêtements très chic qui porte son nom, sur la carte de l’afternoon tea au tea room,.... Etrange ! Mais qui est donc ce Jim Thompson qui hante ainsi les hauteurs du centre de la péninsule de Malaisie ?
Jim Thompson est un américain un peu mystérieux qui était venu voir des amis et se reposer dans cette ville des Highlands malaisiens. Or, le 26 mars 1967 il a soudainement disparu sans laisser aucune trace. Cet architecte né en 1906 dans le Delaware était surtout connu pour avoir revitalisé l’industrie de la soie et du textile dans les décennies 50 et 60 en Thaïlande. J’avais visité la maison où il s’était installé à Bangkok en Thaïlande et qui est devenue un musée aujourd’hui très connu. Ce musée est un témoin architectural unique puisque Jim Thompson avait acheté plusieurs maisons traditionnelles anciennes en teck dans le nord de la Thaïlande pour les reconstruire dans Bangkok et les garnir de collections d’art.
La raison qui a fait de sa brusque disparition en Malaisie une affaire médiatique est qu’il avait été membre de la CIA avant de se reconvertir dans les affaires. Ce 26 mars était un dimanche de Pâques et il était sorti à 13 h 30, pensait-on, faire une petite promenade après le déjeuner. Il avait d’ailleurs laissé ses cigarettes et une petite boîte en argent sur sa chaise à l’extérieur du Moonlight Cottage, un hôtel de style Tudor où il résidait. Ce qui laissait penser qu’il n’avait pas prévu de sortir longtemps. Or, en dépit des recherches, les enquêteurs n’ont absolument jamais retrouvé aucun indice.
D’innombrables hypothèses, parfois farfelues, ont été émises sur cette disparition incompréhensible.
Certains ont pensé qu’il avait été kidnappé à cause de son passé d’espion. Mais personne ne l’a revendiqué. D’autres ont imaginé qu’il a avait été dévoré par un tigre. En effet, le tigre de Malaisie, qui apparaît sur les armoiries du pays, survit encore aujourd’hui dans les forêts voisines et se nourrit normalement de sangliers, de cerfs locaux, voire d’ours ou d’éléphanteaux. Mais un tigre n’aurait-il laissé absolument aucune trace même s’il avait dévoré un humain ?
D’autres personnes ont pensé qu’il avait été assassiné par des brigands ou qu’il aurait été empalé dans un piège à gros gibier au fond d’une fosse installée par les populations aborigènes, lesquelles se seraient empressées de l’enterrer en découvrant l’accident. Certaines affirment l’avoir aperçu après son évaporation…. En définitive la disparition de Jim Thompson reste un des plus grands mystères non résolus du XXème siècle en Asie.
La Cameron Highlands Resort où je dors ce soir sait d’ailleurs bien exploiter ce filon et entretenir le suspense dans toute sa communication. J’imagine que le style de décoration de l’hôtel est resté très proche de celui de la fin des années 1960. Cette belle demeure de style anglais est posée au bord d’un golf avec de vastes salons tous en planchers, coquets, élégants, et il va de soi très british. Les fauteuils, tapis, coussins, rideaux, lampadaires, tableaux et la vaisselle comme l’argenterie rivalisent des meilleurs fournisseurs de sa Majesté.
J’y ai d’ailleurs apprécié un authentique high tea avec un choix des plus fins thés de l’ex empire, accompagné de petits sandwiches triangulaires au saumon, au thon, oeufs et cresson, fromage et concombres, de mini pâtisseries et de scones juste sortis du four accompagnés de crème grumeleuse, de confiture de fraise maison, and so on… comme il se doit en pareil lieu et comme Jim Thompson en a sans doute consommé en son temps.
Mais avant de m’endormir dans ma vaste chambre d’un style aussi raffiné que les salons, l’énigme a continué de me tarabuster. Comment est-ce possible qu’un homme puisse disparaître de cette façon ? Dans mes rêves cette nuit-là, le fantôme de Jim Thompson dansant avec les Orang Asli, les aborigènes de la forêt primaire voisine, devant les grimaces ricanantes d’un grand tigre rayé et les pitreries de gibbons délurés ont continué de m’asticoter et de me malmener toute la nuit.
Jusqu’à ce que le réveil me rappelle à la triste réalité. L’hôtel est séparé du golf, en contrebas, par une route très passante et bruyante. L'hôtel est luxueux, mais son environnement désolant. Car les petits villages de montagne voisins, autrefois si jolis, Tanah Rata d’un côté et Brinchang de l’autre, ont beaucoup grandi depuis 20 ans et tendent à se fondre dans une vaste agglomération qui perd de son charme en nourrissant le tourisme. S’il en restait, les ultimes indices de l’énigme de Jim Thompson vont disparaître sous le bitume et le béton.