Un transport dans le temps. Quand je fais une randonnée sur des chemins de terre je pense parfois aux voyageurs d’antan. Au Moyen-Age, il n’y avait évidemment pas de bitume, pas de voitures, pas de trains, à fortiori pas d’avions, ni de télécommunications,… Les plus riches montaient se faire ballotter pendant des jours sur un cheval ou un chariot. La navigation fluviale, plus confortable et rapide que les routes, était préférée partout où elle était possible. Mais la plupart des voyageurs se déplaçaient à pied, au rythme moyen de 30 kms/jour. On estime qu’un messager royal bénéficiant de la meilleure logistique et infrastructure pouvait parcourir jusqu’à 600 kms (Paris-Bordeaux) en 4 jours. A l’époque c’était le top du top. Mais on ne comptait pas en kilomètres puisque les mètres et kilomètres n’ont été définis qu’en 1791 !
J’ai compris que l’exposition « Voyager au Moyen-Age » du Musée de Cluny au cœur de Paris mettait le doigt sur mes privilèges de voyageur du XXIème siècle : je peux parcourir le monde sans aucune restriction quelles que soient les distances à parcourir. Quand je randonne, je porte des grosses chaussures adaptées à la rando, alors qu’à l’époque peu de voyageurs bénéficiaient de chaussures et quand ils en avaient, de toute façon très fines, ils ne les chaussaient pas toujours, pour les économiser ou pour faire pénitence. L’exposition pointe toutefois quelques similitudes par rapport à aujourd’hui : les distances parcourues ont toujours été liées à la condition sociale, tout comme le confort et la facilité du voyage.
Cette passionnante exposition a un écrin adapté, l’hôtel de Cluny qui était le pied à terre parisien, entre leurs pérégrinations, des abbés de l’ordre monastique de Cluny basé en Bourgogne. Leur résidence a été édifiée au XVème siècle en gothique flamboyant, un luxe pour l’époque. Les commissaires de l’exposition ont réuni dans le frigidarium des thermes antiques inclus dans le bâtiment, 160 objets qui racontent les voyageurs médiévaux, marchands, pèlerins, abbés, artistes, étudiants, chevaliers, seigneurs, messagers,… Le document le plus extraordinaire, sorti de la bibliothèque Medicea Laurenziana de Florence, est la plus ancienne Bible manuscrite connue (Codex Amiatinus), fabriquée au début des années 700 dans un monastère anglais. Il fallut 2000 peaux de veau pour la réaliser et elle pèse 50 kgs. L’abbé qui la commanda voulut l’offrir au pape Grégoire II. Mais lors du long voyage nécessaire, il mourut et ses compagnons n’atteignirent jamais Rome. Aujourd’hui quelques heures suffiraient en transport express !
L’exposition expose un savant bric-à-brac d’objets liés aux voyages médiévaux : cartes, astrolabes, portulans, chandeliers portatifs pliants, boîtes de jeux, peignes, coffrets, croix pectorales, selles d’apparat, … Le plus intéressant est que ces objets et les œuvres d’art souvent exceptionnels qui témoignent (statues, peintures, tapisseries,…) sont regroupés en thématiques de réflexion. Par exemple sous le thème « Connaissance », j’ai lu « le voyage permet d’étancher une soif de connaissance, de comprendre les rouages du monde et d’en voir les merveilles, mais aussi de former sa personnalité ». Sous le thème « l’Autre », j’ai lu : « le voyageur qui part de chez lui confronte rapidement son être à la différence ». Tout cela était vrai au Moyen-Age, c’est toujours vrai aujourd’hui.
Exposition du 22 octobre 2014 au 23 février 2015 au Musée de Cluny à Paris