Voyageur trompeur. C’est très étrange, quand Je lis le nom de Corto Maltese, je pense Hugo Pratt et quand j’entends le nom de Hugo Pratt, je pense Corto Maltese. Comme si Hugo Pratt l’auteur de la bande dessinée était le double de son personnage aventurier et vagabond Corto Maltese, ou vice versa. Or, ce gros livre que je viens de lire sur « Corto Maltese 1904-1925 » ne m’a pas permis d’effacer cette confusion. On a l’impression, en découvrant le titre, que Corto Maltese est un vrai personnage de l’histoire et je me demande si Hugo Pratt n’est pas un auteur imaginaire. Qui est le biographe de l’autre ? Qui est le plus grand voyageur, Corto Maltese ou Hugo Pratt ?
Pourtant ce livre, qui a tout l’air d’une BD, est en fait un docte ouvrage signé de 18 auteurs, universitaires et savants es Corto Maltese. Par exemple Pierre Chuvin qui a entre autres dirigé l’Institut français d’études sur l’Asie centrale à Tachkent ou bien Yves Saint-Geours historien et diplomate en Amérique Latine ou encore Pierre-François Souyri, professeur d’histoire japonaise à l’université de Genève… autant de spécialistes de régions que Corto Maltese est censé avoir explorées. Ce personnage de BD, reconnaissable à sa casquette de marin et à l’anneau accroché à son oreille gauche, devient l’objet de leurs recherches approfondies pour tenter de démêler le vrai du faux. Car Hugo Pratt a brouillé les pistes. Il prête à son personnage des situations historiques réelles en les mélangeant à des fictions trompeuses, parfois abracadabrantes. « Pratt utilise plus les incertitudes de l’histoire que ses faits avérés. Il comble les interstices laissés vacants par les historiens », écrit Dominique Petitfaux, historien de la bande dessinée.
Même ambiguïté pour les voyages. Hugo Pratt a sans doute moins voyagé que son personnage Corto qu’il a fait grand voyageur comme lui en le décalant dans le temps, au début du XXème siècle. Par exemple, « en menant son héros en Extrême-Orient, Pratt aborde des univers géographiques dans lesquels il ne s’est jamais rendu, au contraire de l’Amérique latine, de l’Irlande ou de l’Afrique occidentale », explique Michel Pierre, ancien directeur de l’Institut de Florence.
Indépendamment des liens troubles entre l’auteur et le personnage, Corto Maltese reste une formidable machine à rêver pour les voyageurs. Ses albums donnent envie de plonger dans les livres d’histoire et de retrouver les terres parcourues par ce « chercheur de trésor, pirate et gentilhomme de fortune ». « Les aventures de Corto Maltese parcourent océans, mers, lacs, lagunes et utilisent à peu près tout ce qui flotte », note Michel Pierre qui fut un ami de Hugo Pratt. De fait avec lui on voyage aussi bien en Guyane et en Amazonie (« Suite Caribéenne »), qu’en Afrique de l’est et aux proche et moyen orients ottomans (« Ethiopiques ») que dans la New York Latine qu’est Buenos Aires (« Tango »), etc, etc,… Mais, au fait, on voyage avec qui, Hugo Pratt ou Corto Maltese ?
L’Histoire éditions 2014