Ce bel archipel africain révèle des merveilles à qui s’aventure, un peu plus loin que les seules plages de l'île de Sal, où se concentre l'hôtellerie. Il faut partir vers d'autres îles. J’avais déjà visité les îles de Sao Vicente, Santo Antao et Sao Nicolau. Dans un second voyage dans ce pays, j’ai revu Sal et découvert Boa Vista, Santiago et Fogo. Un deuxième coup de foudre !
Je suis entré dans ce pays africain du milieu de l’Atlantique, au large du Sénégal, comme la plupart des touristes, par l’île de Sal, qui signifie « sel » en portugais. De fait, dans cette île qui était encore quasi désertique il y a deux ou trois décennies, ce sont les salines qui ont fait l’histoire. Je l’ai compris en découvrant Pedra de Lume, son plus beau site, avec une saline rose et des tas de sel blancs au cœur d’un cratère noir, ou encore en découvrant de vrais mirages sur les pistes de sable de la partie saharienne de l’île.
Sal : des hôtels et encore des hôtels
Pourtant les cailloux et le sable du paysage, parsemés d’acacias chétifs presque couchés par le vent, y sont progressivement recouverts par les chantiers de nouveaux hôtels et d’appartements. Déception ! Des usines de dessalement doivent alimenter en eau douce cette île champignon en voie de « canarisation », comme me l’ont dit à regret certains vieux habitants, par allusion à la densification hôtelière exagérée de certaines parties des Canaries, les îles espagnoles situées plus au nord. J’ai rencontré des touristes belges, pionniers il y a 25 à 30 ans, sur cette tranche de désert qu’est Sal. Cette poignée de fous de planche à voile avaient débarqué au bord de la superbe plage alors à peu près inconnue de Santa Maria, puis monté le premier hôtel, le Morabeza, maintenant au cœur d’une grande agglomération. La première ligne d’hôtels bouclée, une deuxième a été commencée, puis les constructions, au milieu des bulldozers et grues, ont alors débordé sur les plages voisines moins accueillantes pour les baigneurs. Les pionniers ne reconnaissent plus leur île. Une autoroute relie Santa Maria à l’aéroport de Sal.
L’ancien village de pêcheurs, phagocyté, est méconnaissable. Au bord du ponton où débarquent encore quelques poissons remontés à la palangrotte, l’ancien entrepôt d’exportation du sel qui arrivait par rail a été restauré et transformé en boutiques. Quelques maisons de villageois ont survécu dans la rue du 1er juillet, devenue en quelques années une artère commerçante bondée. Les rendez-vous branchés se font sur la plage, au restaurant haut de gamme Atlantis, une coupole de bois posée sur le sable par un français. En me désaltérant avec une eau minérale -un peu chère- j’ai failli oublier que sal veut dire sel en portugais.
Les dunes de sable de Boa Vista
Je me réjouissais de découvrir l’île voisine de Boa Vista, moins connue et plus sauvage. Mais elle est aussi vouée au balnéaire. J’ai constaté qu’elle est en train de rattraper à grands pas le modèle de Sal. J’espère que les chantiers n’y avanceront pas aussi vite. Car sur la « praça » du centre de Sal Rei, la mini « capitale » de cette île, j’ai un moment eu l’impression que le décor et l’horloge de l’église Santa Isabel s’étaient arrêtés quelques décennies plus tôt. Devant des bâtisses au charme colonial suranné, résonnaient un cri d’enfant ou un aboiement. Côté ombre, j’entendais papoter des vieux à moitié somnolents et, côté soleil, les commérages de rares femmes portant un bébé au dos et une bassine sur la tête. A deux, pas, près de l’ancien poste des douanes d’où partaient le sel et le poisson séché, des barques colorées clapotaient autour de la jetée, à une encablure du fortin portugais. Sans doute un furtif flash-back ?
Pas vraiment car Boa Vista a gardé un charme unique. Tout près des maisons de ce bourg de Sal Rei, les dunes commencent. Le sable, qu’il faut parfois balayer devant sa porte au petit matin, a donné son surnom à cette « île des dunes ». Dans ce sable, à quelques minutes de 4 X 4, surgit une forêt de dattiers secs et assoiffés, puis, quelques cahots plus loin, sur une plage blanche, la carcasse fantomatique et en décomposition d’un cargo échoué. Le plus beau est le vrai désert de Viana, fait de dunes géantes blanches mais mobiles, capables d’engloutir des arbres entiers. Les 620 km² restants sont un morceau de désert roux et rocailleux qui compte huit baobabs et huit villages totalisant pour le moment, hors saison touristique, moins de 5000 habitants. Seule une longue faille, Ribeira Grande, coule au milieu de ce désert comme une oasis verte plantée de maïs, tomates et choux pour la cachupa, le plat national capverdien. La chance (ou malchance) de Boa Vista est de compter 55 kms de plages, encore à peu près vierges il y a 10 ans. Un aéroport international a été ouvert fin 2007. Des italiens on construit quelques hôtels et immeubles et des « resorts » surgissent de terre. Cette belle aux sables dormants sort de sa léthargie. Mais pour aller où ?
L’Afrique noire à Santiago
Après un autre vol très court, je débarque sur une île très différente, Santiago, où se trouve la capitale du Cap Vert, Praia. Elle est l’île la plus grande et la plus peuplée mais aussi la moins touristique. Jules Verne dans un livre pas très connu « Agence Thompson and Co », en avait déjà relevé le « caractère nettement africain ». C’est flagrant pour moi qui ai beaucoup voyagé en Afrique noire. La population y est plus noire que métissée, à la différence des autres îles. Santiago s’appelait autrefois Sao-Thiago. Dans son cœur agricole, en altitude, dans la ville d’Assomada, j’y découvre le marché le plus vivant et coloré du Cap Vert. On se croirait vraiment au Sénégal ou en Guinée. Les femmes en pagnes et foulards, chasse mouche en main, assises devant de grandes balances à fléaux et plateaux de cuivre, vantent leurs charcuteries, fromages, viandes de chèvre, ou les poissons rangés dans de grandes bassines de plastique de couleur, ou bien encore les légumes, le tabac à chiquer, ou la cuisine qu’elles ont mitonnée dans leur gargote,…
Car les fonds de vallées de cette île composent une mosaïque de jardins irrigués qui regorgent de produits maraîchers entre des cocotiers, bananiers, goyaviers ou champs de canne à sucre qui servent à concocter le grogue, un rhum local. Tout autour des champs se dessine un vaste panorama de chaînes de montagnes dentelées, en pics par endroits hallucinants. Des sites dignes de Monument Valley ou de cirques réunionnais,... Elle reste une île à explorer, peu connue en dehors de la plage de Tarrafal au nord, un peu survendue par les agences de voyages : des milliers de kms de sentiers de randonnée traversent des décors grandioses ou des forêts denses.
Cidade Velha, plus vraie que Gorée
En s’éloignant un peu de la capitale Praia, je trouve le chemin de l’ancienne capitale, Cidade Velha. Dans ce paisible village créole composé d’une poignée de maisonnettes aux toits de tôle ou de tuiles rouges et aux façades pastel, les familles devisent tranquillement sur leur pas de porte, entre les poules qui picorent et le linge qui sèche. On ne devine pas tout de suite l’enjeu que ce lieu a représenté. Elle a été la première cité et le premier évêché des européens au sud du Sahara et fut construite par les portugais comme un port stratégique pour le commerce… et la traite négrière. La ville alors appelée Ribeira Grande connut plus de 2 siècles de prospérité avec plus de 300 maisons et 50 lieux de culte. En témoignent les ruines de la grande cathédrale auquel le village est adossé ainsi que le couvent restauré, l’Eglise Nossa Senhora do Rosario rescapée de l’histoire, ou encore le pavage de la maison du gouverneur.
La massive citadelle qui surplombe cette « vieille ville » sur un plateau de basalte avait été construite pour résister aux mises à sac répétées des corsaires et des pirates. En vain, la ville succomba définitivement à leurs attaques en 1712. Le témoignage le plus fort de l’époque du commerce triangulaire est le pilori qui a subsisté sur la placette du village face au mouillage des bateaux et où les esclaves récalcitrants étaient exposés. Ce haut lieu d’histoire, plus essentiel et émouvant que l’île de Gorée au Sénégal voisin, a enfin été inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2009.
Sao Filipe à Fogo, ville musée
En passant d’une île à l’autre, j’ai découvert que ma préférée était Fogo. Son unique montagne, un cône massif, est un volcan toujours actif. Mes premiers pas dans cette île ont été dans les ruelles de la petite capitale, Sao Filipe. Le matin quand les taxis collectifs, les alugers, déboulent de la montagne chargés de produits des champs, ce gros village s’anime de cris autour du « mercado municipal ». Quand ils repartent, la ville retombe dans sa torpeur post coloniale. Car ce gros bourg transpire de l’histoire de siècles de colonisation portugaise. La ville était coupée en deux, le haut était le ghetto des esclaves devenus par la suite ouvriers, le bas était la ville des colons. Les deux quartiers étaient séparés par une rue où la grande fête populaire des drapeaux le 1er mai est toujours organisée avec des courses de chevaux.
La partie basse s’articule autour de son église, une des toutes premières du pays. Ce quartier est un véritable musée de « sobrados », ces hautaines bâtisses coloniales : le rez-de-chaussée était celui des domestiques, l’étage, avec son long balcon de bois couvert, celui des maîtres et au centre, le quintal était une sorte de patio où résonnait l’activité de toute la maison. Cette ville qui dégage un charme fou est construite sur des falaises qui dominent une longue plage de sable noir où, après 17 heures, les garçons descendent jouer au foot, faire leur jogging ou surfer sur l’écume et où les filles font des allées et venues pour les regarder.
Dans la gueule du volcan
Le plus attirant de cette île est l’immense cône volcanique qui en occupe la plus grande surface. Je décide de partir à son assaut. Une étroite route pavée et cahotante grimpe entre des acacias sur les flancs de cette impressionnante montagne. Dans un paysage bosselé, brun doré, l’érosion a creusé de profondes ravines. L’homme a dessiné, entre les coulées de lave, des cultures en terrasses. Dans les villages que des femmes en tongues balaient incessamment, des ribambelles de gamins occupent la chaussée. Chaque maison en pierre de lave, rehaussée de peintures aux couleurs vives, affiche son papayer, son bananier ou son figuier. Des ânons chargés de bidons jaunes descendent l’eau que des enfants sont allés puiser dans des réservoirs.
D’un coup, la route change. Sur la crête, après les derniers grands arbres, des sisals géants, le paysage bascule. L’entrée dans la caldeira, le cratère d’effondrement, est un atterrissage sur autre planète. Dans ce creux de 8 km de diamètre entre des parois qui atteignent par endroits 1000 mètres de hauteur, tout est noir. Les coulées s’enchevêtrent comme une tempête océanique qui se serait figée. Par endroits, elles s’étalent comme un fin sable noir, les pouzzolanes, qui crissent sous les pieds comme une neige poudreuse. Au-dessus, au centre de la caldeira, émergent, cônes dans le cône, à plus de 2800 m le grand Pico et à 2000 m le petit Pico né de la dernière éruption de 1995 aux parois encore chaudes et par endroits fumantes. A leurs pieds est blotti un petit village, Cha das Caldeiras. Dès que des tremblements font redouter une éruption, tous ses habitants fuient. Mais dès que la menace disparaît, ils reviennent.
Ses 1000 habitants habitent ici depuis des générations. L’un d’eux m’explique qu’ils se partagent deux noms de familles, les Fernandez et les… De Montrond. Tiens, curieux dans une ancienne colonie portugaise ! L’explication qu’on me donne, photos à l’appui, est que ces derniers descendent tous d’un aventurier français, Armand de Montrond réfugié au XIXème siècle dans l’île et qui aurait laissé dans ce fond de volcan 54 enfants, avec bien sûr de nombreuses femmes ! De fait j’y ai croisé de nombreux petits blondinets. J’allais oublier que Fogo veut dire feu en portugais et qu’on produit dans le cratère un petit vin, le vinho de Fogo, qui monte à la tête.
- La gentillesse et le sourire et des capverdiens, même à Sal l’île la plus européanisée de l’archipel
- Des paysages sauvages très différents sur chaque île.
- Une pure population africaine, mais par endroits très métissée, qui évoque parfois le Brésil, peut-être à cause de la langue
- Dans tout l’archipel et à Santiago en particulier, le manque de petits hébergements de charme
- Des vols inter îles affichant de très fréquents retards.
- L’occidentalisation trop rapide de l’île de Sal
- Pedra de Lume, l’ancienne mine de sel de l’île de Sal
- Les petits villages perdus entre dunes de sable et cailloux à Boa Vista
- Cidade Velha, ancienne capitale se Santiago et témoin du commerce triangulaire passé
- Sao Filipe et ses maisons coloniales dans l’île de Fogo
- L’immense caldeira (cratère d’effondrement) en haut du volcan de l’île de Fogo