Voyage au bout de la plume. En convertissant les grands classiques de la littérature en bandes dessinées Le Monde et les éditions Glénat font passer les voyages de l’imagination à l’image. La grande littérature prend formes et couleurs. Le pari était risqué mais avec le premier numéro de cette collection, je me suis laissé embarquer dans les aventures à perdre haleine de Philéas Fogg et Passepartout imaginées il y a plus de 150 ans par Jules Verne. J’ai d’ailleurs compris que j’avais sans doute les mêmes gènes de la bougeotte que ses personnages. Jules Verne a réussi à faire vibrer les fibres des explorateurs et tourdumondistes que rien n’arrête. Dans son récit on retrouve tous les trucs et tocs des voyageurs comme les histoires de tampons et visas sur les passeports ou le décalage des heures et des jours qui constitue le nœud du récit.
La BD est un remodelage du texte initial de l’écrivain mais elle préserve et titille le recoin des vagabondages de l’imagination. Pourtant les dessins de Chrys Millien sont précis et documentés, aussi bien dans les monuments, les détails architecturaux et l’atmosphère des villes, que dans les costumes et paysages, (Londres, Suez, Bombay, le Gange, Hong Kong, l’Amérique profonde,…) ou dans l’expression des personnages. Entre la plume de l’écrivain et celle du dessinateur, se crée une connivence qui fait revivre avec bonheur cette histoire pourtant archi connue.
Une des choses que je regrette dans cette édition est que le dessinateur (ici en même temps adaptateur, scénariste et coloriste) soit tout juste nommé mais ne soit pas présenté, comme si on avait peur qu’il fasse de l’ombre à l’auteur littéraire. Pourtant, le dessinateur est aussi à sa manière un créateur, ou un recréateur de l’histoire, en dépit des raccourcis qu'il utilise. Même s’il n’a pas le génie de Jules Verne, Chrys Millien y apporte son coup de crayon qui contribue au plaisir de lire.
Ainsi les caractères des personnages, sont conformes aux originaux (j'ai vu une pièce de théâtre dans laquelle ils ne l'était pas) : le flegme very british et hautain de Fogg, toujours impassible et décidé, qui pense pouvoir contrôler la situation de bout en bout puisqu’il va traverser l’empire britannique "sur lequel le soleil ne se couche jamais" ; idem pour la gouaille, la débrouillardise et la spontanéité de son domestique français Passepartout, son fidèle obligé. Et la BD met par exemple en valeur la très belle Mrs Aouda, indienne sauvée de la crémation avec un dénouement qui annonce le métissage de nos civilisations.
Je piaffe d’impatience pour la suite de cette série de BD du Monde et des éditions Glénat qui peut réveiller l’attrait pour la grande littérature et aussi pour les voyages. Il existe déjà pas mal de BD voyageuses. La suite de la collection publiée par Le Monde annonce entre autres : "L’île au trésor" de R.-L. Stevenson, "Robinson Crusoé" de D. Defoe, "Le Livre de la jungle" de R. Kipling, "L’Odyssée" d’Homère ou "Les contes des mille et une nuits"… autant d’aventures littéraires avec lesquelles je repartirais volontiers en voyage.
"Le tour du monde en 80 jours" de Jules Verne, adaptation, scénario, dessin et couleurs de Chrys Millien (à partir d'une édition originale des éditions Adonis). Complété par un intéressant dossier pédégogique sur Jules Verne, son roman et le contexte historique, de Hubert Tison. Le Monde et éditions Glénat