Voyages et paniers de crabes. « Pince mi » et « pince moi » sont dans un musée. « Pince mi » n’est pas tombé à l’eau et « pince moi » n’a pas réussi à me pincer. Normal ! Tous ces crabes sont desséchés et naturalisés derrière des vitrines ou exposés en photos géantes. En visitant cette exposition « crabes du monde » (1), qui m’a fait naviguer sur toutes les mers du monde, je n’ai même pas eu peur !
Pourtant le plus grand crabe du monde, le crabe-araignée géant du Japon (Macrocheira kaempferi) peut atteindre 4 mètres d’envergure et le crabe royal invasif géant du Kamtchatka est en train de conquérir la mer du Nord ; pourtant dans la petite île de Christmas appartenant à l’Australie, les migrations de millions de crabes recouvrent comme des tapis les routes et passent par-dessus les maisons ; pourtant certaines espèces de crabes (notamment ceux à pois rouges de Hawaï, les Zosimus aeneus) sont hautement vénéneux ; pourtant les pinces de certaines espèces ont une puissance capable de faire craquer les coquillages les plus résistants…
Mais j’ai en tête mes souvenirs d’enfance à Préfailles en Loire Inférieure quand mon père, chaussé d’espadrilles, panier d’osier sur l’épaule et épuisette à la main descendait dans des trous d’eau des rochers et délogeait de vives étrilles de sous les algues ou, crochet à la main, obligeait les tourteaux dormeurs à sortir de leur trou. Aux plus grandes marées, il descendait jusqu’au torse dans les algues laminaires les plus lointaines et en ramenait parfois des araignées de mer. Il devait attacher le couvercle de la marmite avec du fil de fer pour les cuire !
Lors de mes voyages à travers le monde, le crabe a souvent été un visiteur inattendu et surprenant : j’ai vu les crabes couleur vase grimpant aux arbres dans les mangroves, et des centaines d’ocypodes, ces crabes couleur sable avec des yeux dressés en périscopes courant comme l’éclair dans tous les sens sur des plages et disparaissant dans leurs trous à la moindre alerte ; j’ai vu en Afrique noire des crabes de terre (Cardisoma armatum) se carapater et des crabes violonistes bleus à la pince droite géante, et sur les rochers noirs des Galapagos des crabes rouge vif se promener entre ses iguanes impavides…. A tel point que je me suis parfois demandé si dans le terme « crapahuter » souvent utilisé pour les globe-trotters il n’y avait pas un peu la racine « crabe ». Mais je préfère laisser l’expression « panier de crabes » aux politiques.
Même si les présentations du Museum sont tassées j’ai appris plein de choses sur les crabes dans cette petite exposition pédagogique du Museum (2). Par exemple que les récifs de coraux grouillent d’espèces de crabes très différentes dont certaines vivent en association avec des coraux, des éponges ou des mollusques ; que les pointes de pinces de crabes sont composées d’un matériau riche en brome qui a une résistance exceptionnelle ; que certaines espèces de crabes font face à un intrus toutes pinces ouvertes alors que d’autres choisissent de faire le mort ; que les deux pinces des crabes n’ont pas forcément la même fonction ; qu’on trouve des crabes à 2000 m d’altitude et 6000 m de profondeur… Dommage, le seul et unique crabe vivant que j’ai vu au Muséum était dans la Ménagerie voisine du Jardin des Plantes : un crabe de l’atoll de Clipperton, un îlot français perdu au fin fond du Pacifique... est-ce que je rêve ? pincez-moi !
(1) Museum d’histoire naturelle de Paris (près de la gare d’Austerlitz) dans le Cabinet d’histoire du jardin des plantes (Hôtel de Magny) jusqu’au 9 novembre 2015
(2) Les hommes pensent à ce jour qu’il y a 7000 espèces de crabes, mesurant de quelques millimètres à 4 m. Mais ils n’ont certainement pas fini d’en découvrir.